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Supervision : travailler le transfert

Toute relation est transférentielle, du fait qu’elle inclut une projection de sentiments, d’affects, d’impressions d’un sujet envers un autre, et d’une place implicite donnée. On constate dans les institutions, qu’elles soient hospitalières, médico-sociales ou socio-culturelles que des usagers, des clients ou des patients donnent aux professionnels un rôle et une place qui connaît un écart, une différence du rôle et de la place définis par l’institution. La relation transférentielle, décrite dans l’article comme une adresse à l’Autre, n’est pas réservée aux métiers de la santé ou du médico-social. Le cas que je présente a lieu dans une entreprise marchande, dans le cadre d’une prestation de suivi individualisé de salariés en demande de soutien.
Marianne est psychologue du Travail. Elle tient une permanence dans une entreprise. Le cadre entre l’organisation et la praticienne définit des entretiens individuels, à finalité professionnelle. Jeanne, salariée de cette entreprise est inscrite au plan de licenciement. L’entretien qu’elle a demandé à Marianne s’ouvre par une question familiale. « J’ai peur que mon fils ne comprenne pas pourquoi je n’irai plus travailler le matin, dit-elle. Qu’est-ce que je vais lui dire ? Et si je reste à la maison le matin quand il part à l’école, il me verra en pyjama. Qu’est-ce que je vais lui dire à mon fils ? Qu’est-ce que vous en pensez ? »
 
Marianne participe à une supervision. La question qu’elle adresse au superviseur et à ses collègues renvoie à la position contractuelle. Que faire quand une demande d’un salarié relève de la sphère familiale, alors que la prestation définie porte sur des situations professionnelles ? Nous travaillons cette différence, voire ce conflit apparent. Ce pas de côté transforme la question du champ contractuel en réponse à Jeanne. Marianne peut-elle s’autoriser à un conseil familial, la salariée l’amenant sur ce champ ? Elle en doute et a entendu quelque chose du côté d’une inquiétude de Jeanne. Nous travaillons ce plan, celui du transfert. Jeanne n’est pas venue demander un conseil, fût-il professionnel ou familial. Elle est venue dire quelque chose de son angoisse. Marianne interroge le rôle du tiers absent, le fils de Jeanne, placé au centre du dire de la salariée licenciée. Je fais entendre une métaphore : Jeanne agit comme une ventriloque. Elle fait parler l’autre. L’analyse qui suit fait émerger l’angoisse de Jeanne, et l’impossible à la dire légitimement. Son fils se trouve placé en médiateur de son angoisse, et sans doute, d’une position dépressive dont le « pyjama »pourrait être un signifiant.
 
Nous travaillons la prochaine séance entre Marianne et Jeanne. La question d’un conflit de loyauté au contrat a connu une transformation en travaillant le transfert. C’est-à-dire quel rôle Jeanne donne-t-elle implicitement à la psychologue du Travail ? Qu’est-ce qui se trouve mis en jeu pour Jeanne, présentifié par une « psy », de ses affects de séparation avec son travail, de son statut social narcissisant, de la vacuité d’un non-travail, d’une position dépressive indicible ?

Bien des demandes de supervision ou d’analyse des pratiques font silence de la subjectivité, voire de l’intersubjectivité dans le lien entre sujets. « Les bonnes pratiques », « les comportements adaptés » et autres visées méthodologiques y sont régulièrement répertoriés. Les questions transférentielles renvoient à la subjectivité des sujets, et à une réalité psychique de l’adresse à l’autre. Il n’y a pas de relation qui ne s’origine d’une adresse, c’est-à-dire d’une demande latente, ou inconsciente à l’autre. Dans le cas présenté, le transfert a pour cadre la demande de Jeanne, le rôle qu’elle donne à la psy, et le transfert maternel envers un fils qui a parole autorisée pour sa mère.

L’absence de reconnaissance du transfert aurait pour conséquence soit un re-cadrage formel de l’entretien par un hors-champ, ou encore une réponse par la suggestion, c’est-à-dire le conseil, celui-ci recouvrant la demande implicite en ne l’entendant pas. La réalité transférentielle ouvre une voie autre, qui est d’analyser les enjeux qui circulent, et d’entendre ce qui d’un récit initial – ici celui d’une salariée – fait désir et non demande. Car la demande est du côté de ce qui peut être dit, et du social. Cela interroge les rôles institutionnels et le cadre éthique d’une division artificielle du sujet entre « vie professionnelle » et « vie privée ». Pour le cas présenté, la réalité de Jeanne – celle de l’angoisse de la perte de repères, de place symbolique par le Travail n’a pas à être jugée adéquate ou inadéquate au cadre d’intervention de la praticienne. Une psychologue du Travail a légitimité à entendre et faire cheminer une salariée dans ce qui est son point de départ : la séparation et le vide comme rupture du lien au Travail, et des causes de l’attachement à ce qui pourrait faire repères : le groupe d’appartenance, l’entreprise, la sécurité affective d’un emploi, les relations et rituels du quotidien en ce qu’ils font contenance.

Un article de Marc LASSEAUX – contact@bymarclasseaux.com

Psychologue, Transfert, méthodologie, supervision, Analyse des pratiques