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La place de la souffrance en analyse de pratique

L’analyse de la pratique où des pratiques, qui souvent s’attèle à « analyser » les savoirs professionnels est aussi un espace, un lieu, où vont se manifester les souffrances du groupe et des individus qui le composent. Un participant amène une interrogation qui est partagée avec le groupe, qui après avoir écouté le récit, va questionner cette pratique et aussi se questionner sur sa pratique dans cette situation. Se questionner sur ses pratiques va au-delà de se demander si « ce que je fais est correct » selon un manuel des pratiques ou des compétences ou bien selon les us et coutumes de telle ou telle profession. Il s’agit d’abord d’admettre que quelque chose nous interpelle qui va bien au-delà de la simple pratique d’un geste ou bien d’une procédure à appliquer.

Qu’est ce qui se joue dans ce qui m’interpelle dans une situation ?

Nous avons différents niveaux, nous allons nous centrer sur ce qui m’interpelle en tant qu’individu et sujet. Mettons de côté la pratique en elle-même par exemple comment réaliser « techniquement une injection » pour un infirmier ou comment aborder « un adolescent » pour un éducateur. Prenons comme point de départ la situation, un professionnel peut rapporter un récit dans lequel il peut décrire ses difficultés à aborder les adolescents dans ses fonctions d’éducateur.
Celui-ci raconte : J’ai du mal avec l’adolescent X, j’ai toujours l’impression qu’il se fout littéralement de ce que je lui dis et je prends cela pour un manque de respect…
A la fin de son récit, le groupe pose des questions pour avoir des précisions afin d’aider le participant à prendre du recul. Les autres participants s’interrogent aussi sur ce qu’eux-mêmes vivent avec ce jeune. Ce qui contribue en partie à soutenir l’éducateur en difficulté.
Cependant, un malaise persiste chez lui, il se renferme petit à petit comme si le soutien qui lui est apporté est insuffisant pour le rassurer. D’autres éléments sont en jeu. C’est alors le rôle du superviseur de permettre, de faciliter la parole, car il y a des enjeux inconscients qui sont à l’œuvre.
Dans ce temps de l’analyse de pratique, il peut amener des apports théoriques afin de mettre des mots là où le sujet met des maux psychiques.
Nous sommes des êtres psycho-sociaux, dotés d’un inconscient qui agit à notre insu et intemporel. Du fait de notre spécificité, nous nous identifions aux autres comme ils s’identifient à nous et nous transférons comme ils transfèrent sur nous, positivement et négativement. Dans le cas de cet éducateur qui est mis dans une position de père de substitution qui incarne la loi (les règles à respecter) vient peut-être se rejouer sa propre relation d’enfant avec son père. Assumer cette fonction parentale avec cet adolescent là et pas un autre, réactive des éprouvés qui le mettent dans une position délicate et cela génère de la souffrance. Mais cela se passe aussi pour l’adolescent qui est plus agressif avec cet éducateur qu’avec un autre. Ni l’un ni l’autre n’échappent aux processus inconscients ni à l’intersubjectivité où chacun des sujets sans le savoir participe à la structuration et à la modification du monde interne de l’autre. Mais la souffrance peut être aussi celle de toute une équipe qui n’arrive pas à travailler avec un résident ou bien qui souffre du manque de personnel, de considération, d’écoute, etc.

Que faire de cette souffrance ?

Lorsque celle-ci provient de toute l’équipe, elle est souvent plus simple à aborder et à travailler comme s’il allait de soi dans cet espace de parole qui est apporté par l’analyse des pratiques. Quand elle est individuelle c’est plus délicat. Ce n’est pas facile de montrer sa souffrance aux autres qui peut être vécu par le sujet comme un manque de professionnalisme, comme une faiblesse et comme un risque d’être mal évalué et mis à l’écart du groupe.
La première étape qui doit être réalisé avec tact, c’est de permettre au sujet d’accepter sa souffrance et d’en prendre conscience. S’il le souhaite, de partager son expérience personnelle avec le groupe. Il ne s’agit pas de transformer l’APP en une thérapie de groupe mais de permettre à chacun des professionnels d’être conscients qu’ils travaillent avec ce qu’ils sont, avec leurs éprouvés et leur humanité.

Quel(s) intérêt(s) d’exprimer sa souffrance ?

Tout d’abord pour en être en partie délesté mais aussi pour se déculpabiliser. Ensuite, toujours garder à l’esprit que l’APP est faite pour améliorer ses pratiques, donc, c’est pour peut être éviter de tomber dans une relation empreinte de contre-attitudes. En quelques mots, les contre-attitudes sont des comportements que met en place de manière inconsciente le professionnel pour se défendre des situations qui viennent faire effraction dans son être. Par exemple dans le cas de notre éducateur celui-ci sent monter en lui de la colère et lorsqu’il aperçoit l’adolescent en question, il cherche à l’éviter.
Bien entendu qu’il ne s’agit pas d’aller en profondeur dans la souffrance du professionnel mais de lui permettre de faire des liens afin de désamorcer ce qui entrave sa relation avec l’adolescent. Il lui appartient ensuite, selon ses désirs, de poursuivre ce cheminement, en se faisant aider par un professionnel qui ne peut être celui qui conduit l’APP.
Exprimer sa souffrance dans un groupe d’APP facilite le chemin pour d’autres collègues qui n’osaient pas exprimer leurs souffrances en regard d’autres situations. Cela humanise les individus qui sont perçus par les autres comme des êtres humains à part entière. Les groupes se soutiennent plus facilement, sont plus empathiques entre eux. Et ces changements et évolutions participent non seulement à une meilleure ambiance de travail mais se ressent dans la prise en charge des usagers.

En conclusion que la souffrance soit groupale ou individuelle en APP, elle a toute sa place et c’est au superviseur d’en assurer sa prise en charge. Le cadre définit au départ est précisément là pour permettre à tous de se vivre non seulement en tant que professionnel mais aussi comme individu et sujet.

En savoir plus sur Rodrigo PERNETTI, Psychanalyste et Superviseur

Crédit Photo : Bernard DELHALLE Auteur Photographe www.delhalle.net

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