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Analyse de pratique, supervisions individuelles et collectives : leurs spécificités

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Des outils indispensables aux professionnels de la relation

Psychanalyse et travail social

Si beaucoup de travailleurs sociaux connaissent de près ou de loin les groupes d’analyse de pratiques sous les petits noms de GAP, analyse de pratique professionnelle, APP, supervision d’équipe, coaching, etc… Ces noms peuvent correspondre à des instances très abstraites, bien différentes les unes des autres. Il me semble important de clarifier la spécificité de chaque instance, et d’exposer leur utilité pour les travailleurs sociaux.

Je vais m’appuyer sur les écrits de Joseph ROUZEL pour expliquer en quoi la psychanalyse est précieuse pour accompagner les travailleurs sociaux tout au long de leurs vies professionnelles.

Le transfert dans le travail social

Qu’est ce que le Transfert ?

Ce que j’ai constaté depuis quelques années c’est que les travailleurs sociaux, les professionnels de la relation et particulièrement les éducateurs spécialisés œuvrent sous transfert. Le transfert est un concept psychanalytique définit par FREUD. Il est une manifestation de l’inconscient. Il se manifeste lorsqu’une expérience infantile passée fait irruption dans une situation présente. Pour moi, un des indices de la manifestation du transfert est l’apparition chez un sujet d’une émotion qui semble disproportionnée avec ce qui se passe dans une situation ou dans une relation.

Psychanalyse et travail social

Joseph ROUZEL rappelle que l’éducation spécialisée et la psychanalyse s’étaient très tôt rapprochées grâce la relation entre Auguste AÏCHHORN et FREUD dans les années 20.

FREUD s’est ainsi intéressé à la fonction de l’éducateur et selon lui la psychanalyse est indispensable à la pratique éducative :

« l’éducateur doit avoir une formation psychanalytique car dans le cas contraire, l’objet de ses efforts, l’enfant, restera une énigme inaccessible. Cette formation s’acquière lorsqu’un éducateur lui-même se soumet à une analyse, lorsqu’il la vit « à même son corps ». L’enseignement théorique de l’analyse, en effet ne conduit pas à une profondeur suffisante et ne suscite aucune conviction. »1 

Selon lui, sans les apports de la psychanalyse, l’enfant peut rester une énigme pour les éducateurs. Personnellement, j’ai pu constater à quel point les apports de la psychanalyse pouvaient m’apporter dans la relation avec les personnes que j’accompagnais. Comprendre en l’expérimentant, à quel point le transfert peut avoir un impact dans nos relations, nous permet d’entrevoir d’autres possibilités d’accompagnements.

Par ailleurs, je pense que mieux se connaitre à travers l’expérience de la cure analytique permet de mieux accompagner l’Autre. C’est effectivement ce que souligne Joseph ROUZEL :

« Un éducateur ne peut exiger d’une personne dont on lui confie l’accompagnement, un déplacement subjectif dans son rapport au monde, aux autres et à elle-même, si lui-même n’est pas engagé dans un déplacement du même type. »2 

J’aime cette idée que l’on ne peut pas exiger un travail sur soi des personnes que l’on accompagne si l’on n’est pas prêt nous même à entamer ce type de démarche.

Le transfert comme outil dans le travail social

Je pense que les travailleurs sociaux et tous les professionnels qui exercent des métiers de la relation (travailleurs sociaux, psychologues, enseignants, pédagogues, formateurs, juges, etc…) ont besoin de s’appuyer sur le transfert pour ajuster leur posture au sujet qui se trouve face à eux.

Chaque situation d’accompagnement est singulière car il s’agit de la rencontre entre deux sujets. Les professionnels doivent utiliser leurs savoirs, ce qu’ils ont appris en centre de formation pour adapter leurs réponses et leurs actions, mais ils doivent aussi utiliser leur premier outil de travail à savoir eux-mêmes, ce qu’ils sont, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils éprouvent, ce que leur transmet ce que certains nomment leur « intuition ».

Tout au long de leur vie professionnelle, les travailleurs sociaux doivent acquérir un savoir qui n’est pas scientifique ou universel. Ce savoir n’est aucunement transposable. Ce savoir se construit au fil des expériences et surtout il est singulier, il s’adapte à chaque personne accompagnée, à chaque situation rencontrée. Ce qui est vrai dans une situation ne va pas l’être dans une autre, au grand désespoir de bon nombre d’étudiants qui aimeraient avoir des recettes pour « savoir-faire ». Personnellement, mon expérience de la cure analytique m’a permis d’acquérir non pas un savoir-faire qui serait universel, mais un savoir-faire relationnel comme ce que définit Joseph ROUZEL.

D’après lui, les éducateurs qui ont vécu l’expérience de la cure analytique peuvent s’autoriser à en faire usage dans leur pratique,

« non pas au sens où il pourrait en faire profiter autrui puisque c’est intransmissible, mais plutôt parce que ce savoir soutient un savoir-faire en relation, et lui permet de questionner sans cesse, dans des espaces d’élaboration comme la supervision (…) la place qu’il occupe pour cet autre dans la rencontre et de travailler le transfert »3 

Lorsque j’ai moi-même expérimenté l’analyse du transfert en participant à des groupes d’analyse de pratique, j’ai compris à quel point les apports psychanalytiques peuvent être précieux dans le travail d’éducatrice spécialisée, et plus largement dans tous les métiers de la relation. Car certaines situations font fortement écho avec l’histoire du professionnel.

Avec l’expérience, j’ai remarqué que lorsque les émotions du professionnel sont très intenses, qu’elles paraissent disproportionnées à la situation vécue avec l’usager : une joie, une tristesse, une colère trop intense ; il apparait souvent que la situation mobilise le professionnel sur une situation vécue dans son histoire. Celle-ci se transfère dans la relation présente. J’y vois ici la manifestation de l’inconscient du professionnel, un écho avec un évènement marquant dans sa construction.

C’est pour cela que les instances d’analyse de pratique, d’intervision ou de supervision sont des outils indispensables à l’exercice des métiers de la relation.

L’utilité des instances de réflexion sur le transfert

Très souvent, comme le décrit l’auteur dans une vignette clinique, les questions que nous renvoient les usagers nous « taraudent » dans notre propre vie et « ce n’est qu’en faisant « le ménage » dans ce qui [nous] affecte dans la rencontre avec [les] famille[s] qu’[on] arrive à dégager leur question et à la leur remettre, si j’ose dire, en main propres, sans y mêler [nos] questions personnelles. » Selon moi, c’est ce « ménage » qui est indispensable à la pratique des métiers de la relation et qui ne peut se faire que dans des instances particulières d’analyse de pratique, d’intervision et de supervision.

Etant donné que le premier outil de travail des professionnels de la relation est le professionnel lui-même, qu’il leur faut construire et faire évoluer un savoir singulier, il me semble indispensable d’entretenir leur « capacités de lien social » (formule que j’emprunte à ROUZEL) tout au long de leur vie professionnelle dans des instances telles que les groupes d’analyse de pratique, les groupes d’intervisions, ou les supervisions.

Analyse de pratique, supervisions individuelles et collectives, quelles nuances ?

L’analyse de pratique professionnelle

Ce que je nomme analyse de pratique professionnelle se pratique en institution, avec des équipes instituées, qui se côtoient au quotidien ou dans les centres de formation. Ce sont des instances qui sont mises en place par les directions ou à la demande des équipes. Les groupes que je mets en place sont des instances cliniques d’orientation psychanalytiques dans le sens où elles vont amener les professionnels à réfléchir et à parler en tant que sujet, indépendant du groupe et de l’institution. Ces temps d’échanges se pratiquent entre cliniciens, les cadres hiérarchiques n’y ont pas leur place. Cet espace d’élaboration clinique est suspendu du temps institutionnel dans le sens où elle permet aux subjectivités de s’exprimer, indépendamment des exigences du travail institutionnel quotidien. Comme une parenthèse.

La supervision collective

La supervision collective part toujours d’une demande individuelle et non d’une demande institutionnelle. En groupe, ce sont des professionnels de différents horizons qui ne travaillent pas ensembles mais qui se rassemblent à une fréquence régulière (généralement une fois par mois) à l’occasion de ces instances cliniques. Le dispositif groupal permet aux professionnels de s’enrichir des apports de leurs pairs pour se pencher sur le transfert qui a lieu dans la situation d’accompagnement. Le fait que les professionnels ne se côtoient pas en institution nous permet d’aller plus loin dans l’analyse du transfert et dans le dévoilement des échos avec des expériences personnelles passées qui influencent les interactions entre le professionnel et la personne accompagnée.

Pour moi, ces temps sont encore plus riches que les groupes d’analyse de pratiques car ils permettent de travailler plus en profondeur sans prendre le risque de trop s’exposer personnellement face à ses collègues. D’exposer ce qui se rejoue de leur propre histoire, de leurs affects et de leurs vécus. Il est primordial de pouvoir identifier ce qui se passe dans la relation transférentielle. Pour cela, un espace de supervision collective indépendant de l’équipe dans laquelle on travaille peut s’avérer un précieux support.

La supervision individuelle

La supervision individuelle intervient à la demande d’un professionnel. On y effectue également un travail sur le transfert dans la relation professionnelle mais cette fois en individuel pour les personnes qui n’ont pas envie d’effectuer cette démarche en groupe. Ceux qui se sentent plus à l’aise dans la relation individuelle avec la superviseuse ou le superviseur.

***

S-KRYSTLIKL’analyse de pratique est bien connue des travailleurs sociaux, souvent découverte en formation ou dans leur équipe. L’intervision ou la supervision individuelle est encore très peu répandue. Elle semble plus l’apanage des « psy » pour le moment. Pourtant, les travailleurs sociaux, tout comme l’ensemble des professionnels de la relation (dont les psys font également partie) œuvrent sous transfert.

Ce transfert s’effectue dans les deux sens, la personne que l’on accompagne effectue un transfert sur le travailleur social, et inversement (ce que certains nomment contre-transfert). Ces mouvements peuvent bousculer le travailleur social, faire écho avec des situations personnelles déjà vécues.  Il est donc primordial de faire le tri. C’est ensuite qu’on peut renvoyer aux personnes que l’on accompagne les questions qui les concernent, indépendamment de ce qui faisait écho avec notre histoire.

Stéphanie KRYSTLIK, Analyste clinicienne des pratiques professionnelles, Superviseuse


 Bibliographie

¹ ROUZEL, J. (2002). le transfert dans la relation éducative psychanalyse et travail social. Paris : Dunod. ² FREUD, S. (1925). préambule à la première édition . Dans A. AICHHORN, Jeunes en souffrance, Psychanalyse et éducation spécialisée. Paris: les éditions du champ social.


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