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La fonction managériale, les équipes et l’analyse de la pratique type Balint

Un Interview de Bruno S.

Intervenante en Analyse de la Pratique Type Balint et Psychanalyste, j’ai recueilli les propos de Bruno S. Responsable de Foyers d’Hébergement pour personnes handicapées mentales et de Services d’Aide à la Vie Sociale sur sa vision de l’Analyse de la Pratique Type Balint. Cet échange vient éclairer la perception de ce type d‘intervention depuis une fonction de management d’équipe.

Vous avez participé à des séances d’analyse de pratiques d’abord en tant qu’éducateur, puis en tant que responsable d’équipes. Si je vous dis Analyse de Pratique type Balint, qu’est-ce qui vous vient ?

“Cela m’évoque un espace-temps pour des professionnels en charge d’un public en situation de souffrance. Les travailleurs sociaux ont en fait un rôle soignant même s’ils ne le savent pas. Cela n’est pas assez reconnu. Et cette approche d’Analyse de Pratique a cette même fonction soignante pour ces professionnels et pour les personnes dont ils s’occupent.

Ces professionnels ne se rendent pas compte à quels points ils sont abimés dans et par leurs pratiques quotidiennes. Côtoyer la misère psychique et sociale peut provoquer un appauvris-sement, voire un tarissement des ressources psychiques. L’Analyse de pratiques est l’endroit où l’on peut refaire équipe autour de l’auto-soin et du coup peut-être rétablir un canal qui donne accès à ces ressources taries. Elle permet de penser le métier, les affects si prégnants, de rétablir la curiosité, de revenir au terrain avec un autre regard sur la personne accompagnée.”

Vous êtes en train de parler de quelque chose qui se décale par rapport à la position initiale du début de la séance d’analyse de pratiques…

“Complètement. On peut comparer ça à l’ostéopathie, où l’on remet en place certaines parties du corps.”

C’est intéressant de parler du corps du professionnel… Ce corps qui a souvent mal…

“Il y a eu des séances d’analyse de pratiques dont je suis sorti avec un sentiment corporel de libération d’une pression, d’un poids, d’une angoisse. La parole qui circule entre les personnes, le sentiment de refaire équipe, de se détacher de la souffrance de l’autre que j’avais tendance à trop porter, cela a été libérateur.”

Vous semblez évoquer là le transfert de la personne accompagnée sur l’éducateur, sur le travailleur social, et votre propre contre-transfert…

“C’est exact. Je vivais leur souffrance, une souffrance qu’ils n’avaient pas la possibilité d’éprouver eux-mêmes et qu’ils faisaient inconsciemment vivre au professionnel. L’analyse de pratique m’a permis de me détacher d’éprouvés contre-transférentiels qui parasitaient mon écoute.”

Est-ce que vous auriez une anecdote relatant ce qui vous a marqué dans les séances d’analyse de pratiques type Balint ?

“J’ai participé à des séances d’analyse de pratiques en tant que responsable d’une équipe. Voir cette équipe se remettre en route avec du plaisir, le plaisir du travail, le plaisir de communiquer entre professionnels et de réinvestir la communication avec les personnes handicapées. Je me souviens d’une séance où il était parlé d’un résident qui posait problème aux éducateurs par rapport à une norme à laquelle cette personne était indifférente. En fait ils avaient honte de sortir avec elle, alors que finalement sa tenue vestimentaire, à savoir un chapeau un peu original, les troublait par rapport à un éventuel quand-dira-t ’on. Cette posture a été remise en question, et nous avons pu capitaliser sur la relation positive que ce résident avait sur moi en tant que personne et chef de service. Ça s’est fait inconsciemment d’abord, et naturellement, à partir de ce changement de posture évoqué précédemment. Ce monsieur, qui ne semblait s’intéresser à rien auparavant, ou à des choses impossibles à réaliser compte tenu de ses limites, a développé une passion pour les fleurs et construit un espace floral que l’institution a pu accueillir, alors que cela n’était pas gagné d’avance.”

Que pouvez-vous dire sur la présence ou la non-présence du chef de service dans les séances d’analyse de pratiques de l’équipe ?

“Il faut distinguer le vécu du chef de service pendant les séances, du choix de faire participer ou non avec l’équipe un cadre de proximité aux séances d’analyse de pratiques. Choix qui relève d’une politique institutionnelle, dont les ressorts ne sont pas toujours accessibles.

Par ailleurs, je pense qu’il est nécessaire que les cadres d’une structure aient un espace à eux pour faire de l’analyse de pratiques, à partir de leurs propres difficultés d’encadrants.

En théorie, si je me situe dans l’éthique du manager, j’ai des doutes. La présence du cadre peut être un frein pour l’expression de l’équipe, qui peut avoir certaines craintes, par exemple : « est-ce qu’il va en profiter pour m’évaluer ? Est-ce qu’il va parler de mes propos à la direction ? ». Reste à évaluer si ces craintes sont fondées par les attitudes concrètes du chef de service. Sont-elles fonction des projections des membres de l’équipe et de leur relation à l’autorité ? Dans ce dernier cas cette relation à l’autorité peut se travailler pendant les séances.

Au niveau de mon vécu, dans les premières séances, j’avais peur d’être mis en danger, que mon équipe se retourne contre moi, j’étais dans le paranoïde. Mais il y avait cette confiance mutuelle, le plaisir de partager ce travail qui contrebalançait ma peur, et sans doute la peur de certains membres de l’équipe. Il fallait donc dépasser cette peur. Il fallait aussi avoir confiance dans l’intervenant.” 

Vous êtes en train de dire que la seule condition qui fasse que le chef de service participe aux séances d’analyse de pratiques de l’équipe, c’est la confiance mutuelle entre l’équipe et son manager. Cela s’évalue lors de l’analyse de la demande et du montage du dispositif par la direction, l’encadrement et l’intervenant en analyse de pratiques.  Et une mauvaise estimation du degré de confiance peut être néfaste à la démarche.

“Complètement. Et la présence du chef de service implique une certaine attitude de ce dernier : une forme de retrait impliqué. Cela l’oblige à un travail intérieur important d’acceptation des ressentis des professionnels, et de différencier ces ressentis de l’usage qu’ils en font. C’est seulement sur cet usage que le manager peut prendre position en séance.”

Est-ce que pour vous il y a des problématiques récurrentes traitées dans les séances ?

“Au départ la gestion des conflits, la violence dans les foyers, le respect du règlement, la question de l’intimité. Et souvent on aboutit à d’autres choses : à quel rapport j’ai à la règle et à la transgression de cette règle ? Et les choses peuvent bouger. Les thèmes de l’angoisse, de la réparation, de la mort aussi sont souvent revenus.”

Est-ce que l’Analyse des Pratiques a joué un rôle dans votre parcours professionnel ?

“Fondamental. D’avoir pu me confronter à mes actions et à mes paroles quand j’étais stagiaire, en formation, a ancré en moi le choix de ce métier. La présence de l’analyse de pratique dans la structure a été déterminante dans le choix de mon lieu de travail. Parce que ça fait partie inhérente du métier. Pouvoir prendre le temps de réfléchir à ce qu’on fait et dit, c’est essentiel. Dans certaines structures qui n’ont pas d’analyse de pratique menée par quelqu’un de compétent, son rôle est souvent sous-estimé. Il serait intéressant de faire une étude là-dessus. Quand on voit tous les cas de maltraitance institutionnelle… Et par quels glissements ordinaires dans la posture on y arrive. L’analyse de pratiques n’est pas magique, mais je pense qu’elle contribue à éviter ou diminuer la maltraitance institutionnelle. Les équipes, les cadres dans les structures qui travaillent avec l’humain en ont besoin. Ça évite la banalisation du sadisme ordinaire et de la déshumanisation sociale et institutionnelle.”

Quels problèmes un chef de service rencontre-t-il quand il souhaite mettre en place des séances d’analyse de pratiques professionnelles ?

Catherine FARZAT
        Catherine Farzat

“Il n’est pas toujours évident de convaincre de la nécessité de l’analyse de pratiques une équipe qui a des difficultés à dire ce qu’elle fait, des personnes peu enclines à se remettre en cause et une équipe clivée par son histoire dont le chef de service hérite. Il y a un travail en amont à faire qui peut prendre du temps.”

Il faut parfois convaincre la direction de l’utilité du dispositif, et du choix d’un intervenant extérieur à l’établissement, plus onéreux que celui de quelqu’un en interne. C’est fonda-mental. L’analyse de pratique fait par quelqu’un du même établissement, même formé, est impossible à mes yeux, car il est pris dans les projections des uns et des autres, les siennes, il est traversé par trop de choses. Elle me parait possible par contre dans des établissements différents d’une même structure.”

Ne pas se tromper sur le choix de l’intervenant.

Et il y a les questions de logistique : jongler avec les congés.

Enfin, si je considère l’analyse de pratiques comme fondamentale, elle ne peut au niveau de la structure se substituer à un management défaillant.”

Un interview réalisé par Catherine FARZAT
Psychanalyste, Intervenante et formatrice en Analyse des Pratiques
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Image par Pixabay

 

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