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L’ignorance est-elle un outil indissociable de la posture d’analyste de la pratique ?

Lorsque nous lisons les pré requis d’une offre d’emploi, un ensemble de connaissances est demandé : celle du secteur, d’un outil spécifique, du métier, etc… Lorsque nous lisons un appel d’offre en analyse de pratique, c’est une approche qui est demandée : analytique, systémique ou autre.  La connaissance du secteur, du métier des salariés ne semble pas être une condition indispensable : pourquoi ?

Faut-il ignorer le métier des personnes pour les accompagner ? Si oui, comment outiller cette ignorance ?

Lorsque nous allons dans un nouveau restaurant, nous ne connaissons ni la carte, ni le lieu, encore moins comment les plats sont préparés. Pourtant, cette ignorance n’empêche en rien de profiter pleinement d’un plat, d’un moment.

Cette ignorance crée une curiosité indispensable. Et cette dernière est un carburant nécessaire à l’intervenant (e) en analyse de la pratique. En effet, avoir une position d’ancien, de «  celui qui sait » peut-il devenir un frein ?

Pour cela, je ferai appel au travail de Mathias Girel, qui  a étudié l’œuvre de Robert Nell Proctor. Définissant l’ignorance comme une « ressource », ne pas savoir comment faire peut créer, selon moi, une ouverture d’esprit  indispensable à cette activité d’analyse de la pratique.

Afin d’étayer mon propos, je prendrai deux situations de travail. La première (situation A) avec une structure d’aide à domicile, ou mon expertise était celle du terrain et non de l’analyse de pratique. La deuxième (situation B), située un an après, ou j’ai pu durant ce laps de temps, apprendre, me questionner, évoluer et être perçu comme expert de l’analyse de pratique.

Avec la situation A, j’arrivais auréolé de cette expérience métier de 7 ans. Le contact avec les salariés en fut grandement facilité. Nous avons énormément échangé sur nos expériences réciproques, nos vécus. Je me souviens d’un des salariés, disant, non sans humour, que les séances ressemblaient à des réunions d’anciens combattants. Ainsi, une étape, celle de la confiance, a été franchie dans le travail.

Cependant, au terme d’une année, avec deux séances hebdomadaires, peu de situations ont été réellement analysées.

En résumé, j’ai échangé avec des pairs, mais le résultat fut maigre en termes de mieux être au travail, ce qui reste, à mon sens, l’alpha et l’oméga de l’analyse de pratique. De fait, la mission n’a pas été renouvelée, et même si j’en ignore réellement la cause, cet aspect a du certainement jouer en ma grande défaveur.

Ainsi, je me suis remis en question, ai décidé d’apprendre, de lire et d’acquérir des compétences réelles et opérationnelles. C’est après cette période d’auto-formation que la situation B est apparue.

Le contexte est à peu près inverse : je ne connais strictement pas la structure, ses enjeux, et encore moins le métier des personnes que je vais accompagner. En somme, aucune routine n’était possible. Mon ignorance m’a fait poser des questions inédites, m’a amené à chercher de la congruence, à en savoir le plus possible sur ce métier inconnu alors, la structure, etc…

Les résultats ont été rapidement bénéfiques, les retours des salariés et de la direction étant enthousiastes. Les situations de travail sont correctement analysées, les salariés se sentent écoutés et accompagnés dans leurs difficultés. J’en suis même arrivé à former les nouveaux arrivants.

Au terme de ces deux situations, ma réflexion a muri, et désormais, je considère l’ignorance comme un allié précieux, amenant de nouvelles perspectives. Au fond, la véritable posture n’est elle pas entre l’ignorance et le savoir, sous la simple forme de la curiosité ? Que je définirai, comme Trévoux en 1771 «  attention, désir et passion du savoir ». En restant attentif à l’autre, désireux d’en savoir plus, ne faisons-nous pas simplement de l’analyse de pratiques ?

L’ignorance, comme l’expertise, sont des outils puissants mais fragiles. J’espère avoir fait comprendre qu’il ne suffit pas de porter la toge du professeur ou du vétéran pour parvenir à analyser une pratique. Cette posture est, peut-être, et j’en doute sérieusement, celle de l’enseignant ou du formateur. La curiosité, elle, reste l’outil le plus sur pour accompagner les professionnels.

Jean Stéphaneintervenant en analyse de pratiques – spécialisé services à la personne

Crédit Photo:  Olya Kobruseva provenant de Pexels

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