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Livre : L’analyse de la pratique : à quoi ça sert ?

2015, érès, 403 p. Sous la direction de Jeannine DUVAL HERAUDET

Quel est le dispositif proposé ?

Il nous faut préciser d’emblée ce à quoi correspond pour nous ce terme « analyse de la pratique » qui est un véritable mot-valise. Ce dernier recouvre en effet des dispositifs multiples, lesquels peuvent viser des objectifs différents et se référer à des théories diverses. Je maintiens cependant ce terme car il est en usage dans les différentes institutions mais je précise d’emblée « analyse clinique  de la pratique », en considérant qu’il est alors synonyme de « supervision ». Le mot « clinique » n’est pas anodin car il suppose la référence à la théorie psychanalytique et la mise en œuvre d’un cadre spécifique.

Le dispositif que je propose aujourd’hui aux groupes de professionnels que j’accompagne en tant que superviseur et qui est à l’œuvre dans cet ouvrage se centre sur l’analyse de la relation entre un professionnel et l’enfant, l’adolescent ou l’usager comme il est dit dans le domaine médico-social[1].

En analyse clinique de la pratique, la parole est première et seule véhicule de la pensée. Une posture clinique implique le doute sur les effets de l’intervention sur l’autre, une mise en question permanente. Le professionnel reconnaît et accepte son implication subjective et les effets du transfert au sein de la relation avec celui qu’il accompagne. En s’entendant parler, puis en entendant les résonances que sa parole a provoquées chez l’un puis l’autre participant, une distanciation s’effectue pour le narrateur avec les éprouvés, les affects, les émotions ressentis lors de la situation dont il fait le récit au groupe. Le croisement  des points de vue divergents mais tout aussi subjectifs en provenance de chaque participant permet de faire ouverture dans une situation qui paraissait souvent bloquée. Il devient possible de formuler des hypothèses concernant les déterminants du comportement de cet autre dont il est question et des propositions de pistes de travail diversifiées peuvent émerger au sein même du groupe. Cependant, prendre le risque de sa propre parole dans le groupe requiert des conditions de sécurité. Cette dernière  est garantie par les règles que pose d’emblée le superviseur : écoute de l’autre, écoute  de soi, non-jugement, confidentialité en ce qui concerne les propos personnels. Dans les métiers de l’humain, l’articulation entre l’histoire personnelle et les postures professionnelles sont toujours étroitement intriquées. Le contexte de l’analyse de pratique est professionnel. Les échanges dans le groupe viennent fréquemment faire résonance avec l’intime du professionnel. Une position éthique et déontologique impose cependant de respecter les limites de ce qui est travaillé au sein du groupe et il revient à chaque professionnel de travailler ailleurs et s’il en éprouve le besoin les questions qui touchent l’intime de sa personne.

Comment avons-nous conçu cet ouvrage ?

Psychopédagogue pendant de longues années, accompagnant dans un registre relationnel des enfants ou des adolescents « en difficulté «ordinaire »[2] qui ne parvenaient pas,  en raison de leur  histoire personnelle et/ou familiale à s’inscrire dans les apprentissages de l’école ou dans les règles proposées  par  celles-ci, j’ai éprouvé le besoin du « holding » d’un travail de supervision. J’ai donc vécu cette expérience d’une manière individuelle ou en groupe pendant de nombreuses années, avant même d’envisager occuper un jour la place du superviseur et de me former pour cela. La lecture de nombreux ouvrages m’a conduite à m’interroger : Pour quelles raisons ce sont les superviseurs qui écrivent sur cette  pratique, présentant leur dispositif et l’éclairant de vignettes cliniques ? Ne pourrait-on pas envisager une autre entrée et arrêter de parler au nom des participants qui sont quand même les premiers concernés ? Que cherchent ceux-ci dans ce  dispositif ? Qu’est-ce qu’ils y vivent ? Qu’est-ce qu’ils y trouvent ?  Quels effets peuvent-ils repérer quant à leur pratique professionnelle ? L’idée était lancée mais elle devait faire son chemin. Celui-ci nous a pris deux années entières.

Le passage à l’écrit demande une distanciation supplémentaire par rapport au travail oral habituel en analyse de  pratique. J’ai proposé ce projet à différents groupes de professionnels spécialisés que j’accompagnais depuis un temps suffisant en analyse de pratique pour qu’ils se soient bien approprié le dispositif et pour qu’ils disposent du recul nécessaire pour passer à l’écrit. Des obstacles étaient inévitables, et en premier  lieu le peu de directives données au départ quant à cette écriture.

Quelles étaient les consignes données ?

Mon souhait était de respecter l’implication subjective de chacun et en premier lieu   l’entrée qu’il choisirait.  Une situation pour laquelle il avait été le narrateur ? Son vécu en tant que participant à un moment particulier ou d’une manière plus générale ? Sa perception du groupe dont il a fait partie ? Son rapport évolutif vis-à-vis de ce travail d’analyse ? Les effets éventuels de ce travail d’analyse sur sa pratique ? etc.

Cette subjectivité et cette liberté devaient être également respectées quant à la forme que chacun souhaitait donner à sa trace écrite, celle dans laquelle il se sentirait le plus à l’aise : un texte dont la longueur n’était pas imposée, – une seule page étant possible -, des dessins, une bande dessinée, un poème…

Le positionnement éthique et déontologique qui pose des limites à l’investigation concernant l’intime dans le cadre d’une analyse de pratique professionnelle devait s’appliquer à l’écriture. Chacun était libre de décider des limites de ce qu’il souhaitait transcrire au niveau d’une trace communicable, celle-ci pouvant être lue par des supérieurs hiérarchiques. Cette prise de risque a fait peur à certains qui se sont rétractés quant à une écriture possible de leur part. Pour  d’autres, cette éventualité a été souhaitée et elle a constitué une motivation supplémentaire à écrire : ils allaient enfin pouvoir témoigner véritablement de leur métier et, peut-être, être entendus ?

Chacun devait assumer sa parole et accepter de signer son texte. Accepter également d’être relu par d’autres pour un retour et une éventuelle aide à l’écriture, voire une invitation à approfondir si possible tel ou tel point. Il était posé cependant d’emblée qu’aucune censure ne serait faite quant au contenu. Par contre, comme dans tout écrit clinique, l’anonymat était indispensable vis-à-vis de ceux qui étaient impliqués dans la restitution des différentes situations.

Le peu de consignes préalables a pu en dérouter certains, les déstabiliser, car en rupture avec leurs souvenirs scolaires, universitaires ou leurs mémoires professionnels. Il fallait se risquer à tous les niveaux. Ceux qui ont franchi le pas ont montré que ce pari de départ a permis l’originalité, la diversité et la richesse des écrits.

Trois parties, trois sources principales…

Cet ouvrage est collectif. Ceci ne signifie en aucun cas écriture collective ou en groupe. L’aventure, elle, fut collective. Dans deux parties distinctes au vu de leur appartenance institutionnelle, ont été réunis les textes de professionnels de l’éducation spécialisée. Tous accompagnent des enfants et des adolescents en difficulté. Difficultés scolaires, difficultés d’intégration sociale, difficultés  en lien avec leur histoire personnelle et familiale.

En première partie, des rééducateurs de l’Éducation nationale qui accompagnent des enfants en « difficulté ordinaire ». Ces enfants, élèves d’une classe et d’une école maternelle ou primaire, semblent refuser ou ne peuvent entrer dans les apprentissages, voire dans les règles de l’école. Il s’agit alors pour ces professionnels spécialisés de les accompagner pendant un temps limité de la semaine, en dehors du groupe-classe. Diverses médiations sont proposées à l’enfant pour l’inviter à exprimer  ce qui encombre sa pensée, ce qui fait obstacle, ce qui l’empêche de devenir un élève à part entière, heureux de grandir et d’apprendre, comme les autres. L’intervention se veut préventive, même s’il s’agit déjà de prévention secondaire.

La deuxième partie réunit des textes de professionnels travaillant dans deux ITEP différents – des éducateurs spécialisés et une veilleuse de nuit.  Les enfants dont il est question ont été orientés en ITEP en raison de difficultés qui affectent leur comportement de telle sorte qu’ils semblent avoir besoin, pour un temps, de cet accompagnement plus global. Le cadre et l’organisation spécifiques de l’ITEP deviennent des éléments importants de l’aide apportée par les professionnels.

S’il était nécessaire, la richesse de  ces textes atteste de l’implication et de la professionnalité de chacun de ces narrateurs mais aussi de l’approfondissement et du réajustement  de ses postures professionnelles grâce aux échanges réalisés dans  le groupe auquel il a participé.

J’avais sollicité, encouragé, soutenu l’écriture de chacun. Sous la forme d’une boutade, certains participants m’ont lancé « Et si toi aussi tu écrivais ? » J’avais bien entendu prévu et assumé la responsabilité d’introduire puis de conclure cet ouvrage mais cette  question m’a touchée plus profondément, en écho à ce qu’avance Lacan à propos de l’analyste, lequel se trouve « pressé de déclarer ses raisons »[3]. L’interpellation était pertinente  et légitime. Il me fallait moi aussi apporter mon témoignage. Pour quelles raisons en effet avais-je éprouvé un jour le désir d’occuper cette place, vide de surcroît, si l’on se réfère aux Quatre Discours présentés par LACAN dans L’envers de la psychanalyse ? Quel cheminement m’y avait conduit ? Par quelles étapes étais-je passée ? Mon expérience professionnelle, celle de la supervision en tant que participante, un doctorat en Sciences de l’Éducation, des formations diverses dont un DU en Analyse de la pratique, une longue expérience en formation d’adultes dans le domaine de l’éducation spécialisée ou non, avaient ponctué ce parcours[4]. Pour quelles raisons je soutenais aujourd’hui un dispositif plutôt qu’un autre, pour quelles raisons l’avais-je un peu bricolé à ma convenance, après en avoir goûté et expérimenté d’autres ? De quelle manière je concevais  aujourd’hui de tenter d’occuper cette fonction de superviseur ? En référence aux Quatre Discours et à la place de l’analyste, en tant que « +1 » extérieur à chacun des groupes concernés et à leur institution, la tâche principale du superviseur consiste à poser les règles du jeu puis à s’en porter garant, à soutenir la parole de chacun au sein du groupe et les analyses afin d’aider les professionnels à répondre à leurs propres questions. Cependant le superviseur-funambule est confronté lors de chaque rencontre avec l’imprévu de ce qui va être apporté dans le groupe. Le doute et la remise en question permanentes sont pour lui aussi des postures épistémologiques. Il se soutient de son éthique, de son expérience, de ses savoirs théoriques et de son savoir sur lui-même, de son dispositif et de son cadre que les participants s’approprient peu à peu. Sachant que rien n’est jamais acquis, qu’est-ce que je devais encore et toujours interroger, travailler, afin de pouvoir tenir cette place, afin de tenir le cap, malgré les remous et turbulences institutionnels inévitables ? Quel « holding du holding »[5], pouvais-je trouver pour moi-même ?

Joseph ROUZEL, psychanalyste et Directeur  de Psychasoc[6] a accepté de soutenir cette aventure et d’en écrire la préface. En guise de conclusion à cette présentation, je lui laisse la parole :

«  …Les textes de cet ouvrage feront date. Nous avions jusque-là des témoignages de pratique de supervision ou analyse de la pratique.[7] Mais s’ouvre ici une petite fenêtre sur ce que ce travail produit chez des professionnels. On peut donc juger sur pièces. C’est chose suffisamment exceptionnelle pour être soulignée. Généralement l’espace de supervision est bordé et borné par une obligation de confidentialité à laquelle se soumettent autant le superviseur que les supervisés. Or ici le cercle protecteur s’ouvre sur un autre espace: l’écriture. Sans rien trahir de ce qui s’y déroule, les professionnels qui, non sans un certain courage et une certaine prise de risque, ont produit les textes qui suivent, évoquent et donnent à lire ce qui s’y est mis en jeu  pour eux. Nous sommes dans un temps second, un autre temps, une autre scène. L’espace de la supervision reste clos. Ce qui s’y déroule brille par son absence.  L’écriture, comme dans un révélateur photo, fait apparaître des reliefs étranges, des paysages inconnus; ouvre des rues et des avenues dont on ignorait l’existence… Chacun dans l’après-coup de ces bricolages de parole et d’écriture qu’entraine la supervision,  a jugé bon, tout en se coltinant au collectif, de rendre publique  sa position de sujet. Ce faisant il en endosse la responsabilité, il en répond au sens où « de notre position de sujet nous sommes toujours responsables.[1]» La prise de risque de l’écriture fait relance du désir. Peut-être comprendrons-nous alors, dans cet autre après-coup du lecteur, comment ça s’écrit, supervision… »

Jeannine DUVAL HERAUDET, le 25 août 2017


[1] Articles publiés à ce jour à la suite de la sortie de cet ouvrage : Comprendre ce qui se joue, Revue ASH n° 2973, 2 septembre 2016 ; L’analyse de la pratique : à quoi ça sert ?, Revue VST, n° 135 – 06/07/2017
[2] DUVAL HERAUDET J., 2001, Une difficulté si ordinaire, les écouter pour qu’ils apprennent, Paris : EAP, 373 p.
[3] Jacques LACAN, Janvier 1977, Ouverture de la section clinique, Ornicar ? 9, Paris : Lyse, avril 1977
[4] Un site a été créé pour partage : www.jdheraudet.com
[5] Le terme de « holding a été repris de Dr D.W. WINNICOTT (Fragment d’une analyse, Paris : Payot, coll. Science de l’homme, 330 p.). Claude Allione évoque le holding du holding. Il prend pour exemple un tableau de Léonard de Vinci « La vierge à l’enfant avec Sainte-Anne ». (ALLIONE, C., La part du rêve dans les institutions, régulation, supervision, analyses des pratiques, Encre Marine, 2005, p.) Dans l’esquisse qui a précédé ce tableau, Léonard De Vinci a peint Anne, Marie, et Jésus qui tend les bras à un autre enfant : Jean-Baptiste. Cette esquisse me semble encore plus évocatrice de l’accompagnement éducatif qui vise à aider l’autre à s’inscrire dans le lien social).
[6] Institut européen Psychanalyse et travail Social
[7] A titre d’exemple : Claude Allione, La part du rêve dans les institutions: Régulation, supervision, analyse des pratiques, Les Belles Lettres, 2011; Joseph Rouzel, La supervision d’équipes en travail social, Dunod, 2007;  Claudine Blanchard-Laville et Dominique Fablet (sous la dir.), L’analyse des pratiques professionnelles, L’Harmattan, 2006.
[8] Jacques Lacan, « La science et la vérité », in Ecrits, Seuil, 1966.

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