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L’Analyse des Pratiques en CADA

Interview de Madame la Directrice du CADA de Lourdes

Cette interview s’est déroulée de façon très ouverte permettant à la directrice du CADA de développer ses réponses et de faire part de son vécu et de son ressenti de l’APP sans intervention de l’intervieweur.

Présentation du C.A.D.A. et de la directrice.

Un CADA est un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile. C’est un établissement public et administratif financé par la DDCSPP, assimilé au service public, dont la fonction est d’accueillir, accompagner et héberger sur le plan administratif, médical, scolaire et pour l’insertion des demandeurs d’asile en cours de procédure.

Mme. Sara POINBOEUF, âgée de 30 ans, est titulaire d’un master en Droit Administratif spécialité Droit International et des Étrangers. Elle dirige d’abord un CADA en Lozère (48) de 100 places dans un petit village de 200 habitants. Elle est alors âgée de 24 ans. C’est la plus jeune directrice de CADA de France. C’est par le biais d’une mutation professionnelle qu’elle crée la structure et le dispositif du CADA de Lourdes en Janvier 2016. Le CADA  de Lourdes est doté de 90 places actuellement. L’équipe est composée de 7 salariés dont la directrice et d’une personne en service civique.

L’Analyse des Pratiques Professionnelles dans son parcours professionnel

Mme. POINBOEUF a déjà mis en place par le passé un processus d’Analyse des pratiques pour son équipe en Lozère. Elle n’y participait pas. L’APP mis en place depuis plus d’1 an au sein du CADA de Lourdes lui a permis d’intégrer un groupe d’Analyse des pratiques de direction.

Faites-vous la différence entre APP, Supervision et Régulation ?

 « l’APP est plus individuelle et très professionnelle. L’intervenante nous donne des outils pour que la réflexion et les solutions viennent de nous pour résoudre des problématiques. »

Quel est le dispositif mis en place dans l’établissement ?

« Le dispositif mis en place depuis 1 an avec Mme Isabel DOUSSET se déroule sur des séances bimensuelles. Un groupe d’APP est destiné à la direction le matin pendant 2 heures et un autre groupe est mis en place pour l’équipe sociale et administrative l’après-midi sur 2 heures également. Il est important d’ouvrir à d’autres directeurs ou directrices de CADA du département. Pour l’instant, la directrice du CADA de Tarbes se joint à la séance d’APP de la direction qui apporte vraiment des résolutions de cas ».

Quels sont pour vous les objectifs de ce dispositif ?

 « Me concernant, l’APP me permet de prendre confiance en moi et d’apporter de la distance sur ma pratique mais aussi d’apporter (ou pas) des solutions pour l’équipe et les résidents. J’apprends à savoir dire « non ». Je développe de nouvelles compétences, même au niveau du management et j’arrive enfin à séparer ma vie privée de ma vie professionnelle.  Concernant l’équipe, j’observe une forte cohésion de groupe depuis la mise en place de l’Analyse des pratiques avec Mme DOUSSET. Ils prennent confiance en eux et sont le plus professionnels possible. Je remarque leur capacité à se distancier de leurs pratiques, à réguler les conflits et ce malgré la charge émotionnelle et affective qui existe. Ils vont piocher dans leurs propres ressources pour se sortir de situations trop stressantes et impactantes avec l’appui et le soutien du groupe. La charge émotionnelle impacte tout le monde. Ils arrivent à trouver leurs propres outils pour surmonter des situations complexes et conflictuelles. Ils développent de nouvelles compétences et l’appui théorique de l’intervenant leur permet de mieux comprendre le public. En effet, ce public cherche des stratégies et l’intérêt est de ne pas se faire piéger ; donc d’être le plus professionnel possible pour répondre aux questions des usagers. »

Y-a-t-il eu un contexte déterminant dans la mise en place des séances d’Analyse des pratiques ?

La tentative de suicide d’une salariée en 2017, décide la directrice à se tourner vers un nouvel intervenant en APP. Il lui semble que l’impact du monde professionnel a été l’un des facteurs déclenchant de ce passage à l’acte : « c’était une excellente professionnelle qui se donnait énormément. Il me semble que sa vie professionnelle empiétait trop sur sa vie privée ». L’équipe du CADA de Lourdes se forme en parallèle sur les risques psychosociaux qui induisent une forte remise en question.”

Pour Mme POINBOEUF, l’APP a toute sa pertinence au sein de sa structure et elle la met en place dès le mois de mars 2016, soit 2 mois après son ouverture. Néanmoins le processus ne se déroule pas très bien, dans la mesure où elle constate que l’intervenante précédente s’inscrit dans un positionnement très particulier : « elle était dans le jugement et l’interprétation psychologique des membres de l’équipe. Elle n’avait pas une approche adaptée. Ca a plus déstabilisé l’équipe que renforcé la solidarité. J’y ai mis fin en décembre 2016 après avoir contacté une nouvelle intervenante ».

Quelles sont les problématiques récurrentes traitées dans les séances ?

« Les problématiques récurrentes traitées en Analyse des pratiques sont liées à la charge émotionnelle et à l’amélioration de la distanciation professionnelle afin d’apporter une réponse adaptée à l’usager mais sans se rendre disponible en permanence. L’intérêt est de pouvoir reporter ses réponses et de les travailler en équipe. Par ailleurs, on distingue dans les groupes de professionnels des meneurs et des dominés. Les séances d’Analyse de la pratique permettent l’écoute des personnes qui ne s’expriment pas forcément dans un autre cadre. Il nous faut aussi travailler le deuil de l’idéalisation du public. Sortir des représentations et des projections, prendre les personnes comme elles sont réellement, avec leurs bons et mauvais côtés pour mieux les accompagner dans l’autonomisation.  La démarche d’APP nous permet de travailler la vision idyllique que nous avons du réfugié pour accepter de ne pas toujours pouvoir aider.  Nous, on est soit bourreaux, soit sauveur. On est vite dans cet engrenage. Il est important de replacer la personne accompagnée dans sa place d’individu maître de son destin et de lui permettre de développer ses capacités et compétences. C’est facile d’infantiliser, alors qu’ils sont riches de leur parcours ».

Ces problématiques sont elles propres au CADA ?

 « Bien sûr que non. Ces problématiques sont propres à toutes les structures dans lesquelles il y a une relation d’aide. Le secteur social et médicosocial est tout autant impacté. C’est bien évidemment renforcé dans un CADA accueillant des personnes victimes de traites d’humains, d’excisions, de guerres, de viols, etc. qui nous donne une vision édulcorée de notre public. Alors qu’une personne d’origine française, addict à la drogue ou à l’alcool et qui a perdu son emploi n’aura pas le même regard posé sur elle. On aura tendance à la blâmer. Dans un CADA il est impératif de sortir du prisme « on sauve tout le monde ». Nous sommes là en aide et en soutien. L’APP est appropriée pour l’ensemble du champ social et médicosocial, et dans tous les secteurs où des liens de hiérarchie et de subordination existent, ça permet de travailler le lien, et la relation à l’autre ».

Comment concevez-vous la place de l’intervenant ou du formateur en analyse des pratiques ?

« C’est une personne faisant partie de l’équipe, mais qui est aussi en dehors de l’équipe. Elle est neutre, sans jugement et dans l’empathie. Elle est là pour permettre d’extraire des solutions, mais n’impose pas des réponses toutes faites. L’intervenante en APP est le pilier de la structure. Elle fait partie de l’équipe de manière excentrée. Elle participe mais ne prend pas parti. La place de l’intervenante en APP est quasiment métaphysique. L’ancrage et la relation de confiance se créent et se développent dans la durée ».

Quels avantages pour les équipes du CADA ?

Selon Madame POIMBEOUF, les avantages sont multiples : « ils sont libres de s’exprimer totalement. Il n’y a pas de barrière dans la prise de parole et aucune gêne car il n’y a pas d’impact sur l’autre. Dans le cadre des séances d’APP, la posture de l’intervenante ne les met pas en danger. Les salariés ont une totale liberté de parole, et ça fait du bien de lâcher cette parole, de savoir que cela ne sera pas répété et que le cadre est confidentiel. Cette notion de confidentialité est extrêmement importante et doit être régulièrement reposée ».

Quels effets dans la pratique des professionnels ?

 « Je constate qu’une réelle prise de confiance en soi et dans les autres a pu émerger et se développer. A présent, les salariés fonctionnent sur rendez-vous avec les usagers et savent dire « non ». L’équipe a pris du recul et peut accompagner les usagers sans souffrir avec eux. L’impact de l’affect est beaucoup moins prégnant. L’APP mis en place avec notre nouvelle intervenante en février 2017 a véritablement permis des progrès significatifs de toute l’équipe à partir d’Octobre 2017. Ce dernier trimestre 2017 m’a permis de constater une bien meilleure ambiance au travail, une entraide, et de la bonne humeur. Aujourd’hui, ils rigolent entre eux.

Me concernant, outre la prise de confiance en moi et la distanciation vie professionnelle / vie privée, j’ai pu lâcher prise et ne plus culpabiliser de penser d’abord à ma vie personnelle. L’APP m’a permis de savoir prioriser, de me recentrer et de ne pas culpabiliser d’avoir pris 1 heure pour moi. Cette prise de distance m’a fait gagner en efficacité. Je ne me surcharge plus bêtement et je connais mes limites professionnelles et personnelles. Je crie moins, parce que je me rends compte que je criais beaucoup. A présent, lorsque je reçois les résidents en entretien, c’est par la posture et l’intonation, sans crier, que je m’affirme. Je prends le temps de réfléchir, je ne suis plus pris de court et au dépourvu, et je prends le temps d’aller chercher l’information plutôt que de répondre du tac au tac. Je peux aussi dire « non ». Mais l’équipe fonctionne aussi de cette façon à présent et organise énormément le temps de travail. Ils ont gagné en qualité de travail et d’entretien ».

Existe-t-il des craintes ou des résistances dans les équipes ?

« Oui, des salariés ont été réfractaires à la mise en place des séances d’APP suite à la première intervenante.  Aujourd’hui, ils sont contents, et me demandent quand aura lieu la prochaine séance d’APP. Ils trouvent même que ça n’est pas assez. Là, ils en veulent plus, ils en ressentent le besoin : ça améliore leur quotidien. Le retour de l’équipe est que ce processus d’Analyse des pratiques est extrêmement bénéfique pour eux. La personne la plus réfractaire a pu s’exclamer récemment : « Heureusement que les APP sont mis en place ! ».

Que pourrait-on améliorer dans le dispositif d’Analyse des pratiques ?

« Le cadre d’intervention est très bien, parfait. Pour viser une amélioration de ce dispositif, je ne vois que deux choses : rapprocher les séances d’APP tous les 1 mois et demi, et non plus 2 mois, voire même une fois par mois. Pour cela, c’est une question de budget et de disponibilités. La deuxième est de reclarifier avec l’équipe cette notion de confidentialité pour maintenir la confiance qu’ils ont dans l’intervenante ».

 Propos recueillis par Isabel DOUSSET
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CADA, Directrice, Lourdes, Demandeurs d’Asile, Analyse des pratiques