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Devenir adulte à l’adolescence : quels enjeux pour des mineurs non accompagnés dans un groupe de parole

Mineurs Non accompagnés - MNA

Ils ont entre 15 et 18 ans. Surtout des garçons. Après un parcours solitaire et en groupe de fortune, ils sont accueillis en France au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance. La minorité les protège d’un renvoi au pays ou de l’errance des sans-papiers, sous la réserve que la preuve de la minorité (avoir moins de 18 ans) puisse être établie. Ils ont quitté leur pays et leur famille par des faits de guerre, de la violence de régimes totalitaires et d’histoires personnelles et familiales. Sans lien avec la simplification du discours politique qui caractérise « des migrants économiques », « du tourisme médical », voire de jeunes délinquants en puissance. Dans une MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social) où nous intervenons en animation d’analyse de pratiques, la direction a souhaité ouvrir un groupe de parole aux mineurs non accompagnés qu’elle accueille.

Mineurs non accompagnés: Devenir adulte à l’adolescence

A l’âge où, beaucoup de leurs camarades autochtones vivent une adolescence chahutée ou contenante chez leurs parents, les adolescent.e.s déplacé.e.s accueilli.e.s au titre de l’Aide Sociale à l’Enfance sont projeté.e.s dans un espace politique et administratif, une langue et des apprentissages multiples. Une charge psychique et énergétique, alors que les effets du déplacement du pays d’origine au pays d’accueil sont à peine refermés. Refermés en tant que mise à l’épreuve dans son corps, par des émotions dues aux incertitudes confrontantes, voire angoissantes du voyage, des tragédies qui, parfois, s’y jouent ; de la violence de la soumission à des intermédiaires qui organisent les passages et à celle des autorités et de leurs représentants dans des pays traversés pour parvenir en Europe. Épreuve refermée, oui, mais pas son souvenir et la possible formation d’un trauma. Le déplacement en lui-même contraint des adolescent.e.s à une épreuve brutale, dont il subsiste la mémoire de l’effroi éprouvé, le déni de son propre corps et de ses besoins : se nourrir, s’hydrater, se reposer.

Présents sur le territoire français, pris en charge par les conseils départementaux, ils sont accueillis dans des établissements qui assurent un suivi éducatif et un suivi administratif auprès d’administrations.  Chacune d’entre-elles a ses propres exigences. Le statut de mineur non accompagné donne aux adolescent.e.s déplacé.e.s une scolarisation, un hébergement, un budget élémentaire pour répondre aux besoins de la vie ordinaire.

Le temps de la famille est loin, leurs lieux de vie plus encore. Espace affectif et espace géopolitique se trouvent en rupture. Mais, comme l’écrit la journaliste Rozenn Le Berre dans un très intéressant livre documenté « De rêves et de papiers », les jeunes sujets se projettent dans une vie nouvelle. L’apprentissage d’un métier ouvrira à une condition sociale et administrative dans le pays d’accueil.

Un métier, roc de toutes les tempêtes

Un groupe de parole. Ou encore un groupe de paroles. Avant la 1ère séance, l’invitation a été diffusée par l’établissement. Une dizaine de mineurs sont présents. Certains se connaissent, d’autres non. L’animateur du groupe représente une figure nouvelle de l’accompagnement, en s’ajoutant à celles – déjà familières – de l’équipe éducative. Les règles du jeu sont présentées : confidentialité, parole tournante, chacun.e pourra dire ce qui lui vient et en discuter avec ses camarades. Il n’y a pas de programme pré-établi. D’une séance à l’autre, l’espace du groupe se constitue. Un espace de discussions où, souvent, les paroles se chevauchent tant les adolescents.e.s ont le verbe animé en confrontant leurs points de vue.

L’espace du groupe se structure autour de la formation. Entendons celle qui est dispensée au collège ou au lycée. La MECS se situe dans un bassin industriel au tissu urbain dense. Les filières professionnelles enseignées sont en priorité technologiques. Plusieurs adolescents sont engagés dans une formation aux métiers de l’électricité. D’autres en mécanique auto, ou encore en peinture pour le BTP. Les questions à propos du choix de métier adviennent. L’animateur est sollicité, non pour animer, mais pour donner son avis ou pour informer. Une demande d’autant plus soutenue que, en réponse à des questions sur le choix de métier, nous avions fait le lien entre choix du métier et désir (en fait nous l’avons nommé motivation).

Dans cette adresse à l’Autre, nous entendons l’appel à celui qui disposerait d’un savoir, d’autant qu’il est autochtone et est supposé connaître les besoins sectoriels de professionnel.le.s, tout comme les possibilités de continuer à se former, voire de changer de filière et donc de métier. Ces questions en amènent d’autres, celles de l’animateur adressées à chacun.e et mises en réflexion groupale. Quels sont les métiers, les activités, les techniques qui mobilisent les adolescent.e.s ? Le questionnement de jeunes pris d’emblée dans des filières de formation renvoie à leurs choix, leurs projets et disons-le leurs rêves. Oui leurs rêves. Quand nous les questionnons à propos de leur motivation aux métiers d’électricien ou de mécanicien, en réponse, nous avons entendu l’obstination de sujets mineurs à s’inscrire dans le pays d’accueil par l’exercice professionnel. Ce n’est pas eux qui l’ont décidé, mais le cadre légal de leur statut de mineur non accompagné qui leur impose.

Il n’y a pas de projet sans rêve

Le passage à la majorité doit se faire avec obtention d’une formation. De la place que nous occupons, nous avons aussi entendu que, comme sujets désirant, les adolescent.e.s, en se confrontant à leur future vie adulte, mais n’est-elle pas déjà à l’oeuvre, l’horizon d’un projet personnel advient. Dit autrement, une vie dans laquelle se projeter dès aujourd’hui. Se projeter, cela passe par de l’imaginaire, de la rêverie, du désir. C’est-à-dire des buts subjectifs et leurs représentations psychiques. Toutefois, dans ce soutien au désir, nous avançons pas à pas.

MARC-LASSEAUXIl y a un espace de réflexion à organiser qui donne du poids à la parole des jeunes sujets, les soutient dans leurs questionnements, et dans l’affirmation de leur légitimité. Entre se trouver pris dans la dépendance au cadre de l’Autre, le Grand Autre qui se nomme pays d’accueil, et soutenir son désir singulier, oser le parler, il y a un espace de jeu à instituer. Un chemin de croissance d’autant plus critique que le sujet désirant adolescent s’inscrit dans une institution : mineur non accompagné. Ce statut relève du cadre de la loi et de la place qu’elle aménage aux réalités des personnes migrantes, mineures et majeures. Dit autrement, un sujet adolescent désirant pris dans des effets politiques et technico-économiques qui lui échappent et s’imposent à lui. Pour les mineurs isolés étrangers, l’horizon du passage à la majorité fait enjeu : s’inscrire durablement dans le pays d’accueil et « faire sa vie » dans le sens vital de cette expression.

Marc Lasseaux, Psychanalyste, Praticien en institution


Bibliographie :

Le Berre Rozenn, 2023, « de rêves et de papiers, 547 jours avec des mineurs isolés étrangers », La Découverte.

Winicott D.W., 2002, « Jeu et réalité, l’espace potentiel », Folio Essais


Crédit photo :  PxHere

MECS, Mineurs Non Accompagnés, MNA