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De l’Analyse des Pratiques Professionnelles chez les enseignants

éducation nationale enseignant

Un échange avec Pierre F. enseignant et formateur

Pierre F. a fait une grande partie de sa carrière dans l’éducation nationale. Ce dernier a été enseignant et professeur d’Histoire Géographie pendant 10 ans. Par la suite il est passé dans le secteur de la formation ou il a exercé durant 12 années à différents postes notamment celui de responsable d’un centre de formation pour les personnels de l’enseignement privé sous contrat. Ensuite, il est revenu sur le terrain de l’enseignement en recherche action et en recherche création de dispositifs pédagogiques innovants.

Genèse de l’Analyse des pratiques professionnelles dans le milieu scolaire :

“L’Analyse des pratiques professionnelle entre dans le monde de l’éducation en 1992 grâce à Jean-Bernard PATURET et Yveline FUMAT. Ces derniers appartenaient à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Ils vont élaborer un outil d’analyse dont le nom deviendra le G.E.A.S.E. (Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Éducatives). Cet outil permettra de mettre en œuvre un dispositif d’Analyse des Pratiques.

C’est Maurice Lamy , enseignant de l’académie de Poitiers qui le premier en fera un outil d’analyse à destination de la formation initiale ou continue pour les personnels de l’Éducation Nationale. Le G.E.A.S.E sera donc utilisé pour ce type de public dans le cadre d’un soutien professionnel voire dans l’analyse de pratiques de bien d’autres professions. Cette pratique a donc seulement une vingtaine d’années donc est assez récente.

Un enseignant formateur en analyse de pratiques pour la formation continue des enseignants ayant animé de nombreux G.E.A.S.E., le définit comme « un dispositif d’écoute dans un cadre aidant et non contraignant, une aide à la verbalisation dans le respect absolu des personnes. L’intérêt est d’utiliser la richesse du groupe et son soutien pour éclairer la situation exposée par un collègue, et de jouer sur la multiplicité des regards des autres participants. Nous utilisons cinq champs d’analyse (pédagogique, didactique, institutionnel, sociologique, psychologique) et un cadrage très strict en six phases avec des règles de conduite et des rôles parfaitement définis pour chacun. » – Frédéric Samuel –

Le groupe de travail constitué en G.E.A.S.E. se pratique généralement sur une journée. Les participants y apportent des situations pédagogiques et éducatives précises et vécues qui y seront analysées.”

La découverte de l’Analyse des Pratiques à l’Éducation Nationale

“J’ai découvert l’Analyse des Pratiques Professionnelles dans la deuxième partie de mon parcours professionnel, dans le cadre de la formation de formateurs, j’ai intégré un groupe de travail autour de la question avec Gérard Wiel*[1] de 2000 à 2009. Sous son égide, nous avons été plusieurs praticiens à réfléchir, construire et développer cet outil naissant.”

Une nouvelle démarche pour les académies

“A l’époque c’était assez peu connu, mais en effet, certaines académies en avaient fait une pratique très souvent ponctuelle voire anecdotique. En tout cas ce n’était pas systématique dans la formation initiale ou continue des enseignants. Et même encore à ce jour, beaucoup d’enseignants ignorent complètement ce qui se cache derrière ce terme. Néanmoins, en 1996, le métier d’enseignant s’est doté d’un référentiel et l’analyse des pratiques professionnelles a existé dans ce référentiel.

Aussi, quand j’étais enseignant, cette pratique était totalement étrangère à notre pratique de terrain et puisque le dispositif est né pendant ma période formateur. C’est au sein du groupe de recherche avec G. Wiel que je l’ai vraiment vécu de l’intérieur (approche expérientielle). C’est dans ce groupe que j’ai connu ma première expérience d’analyse des pratiques.

Par la suite, à la tête d’un centre de formation, j’ai pu initier des propositions de séances d’analyse des pratiques professionnelles dans 4 établissements que nous accompagnions à l’époque au niveau de la formation continue. J’ai donc assisté à plusieurs séances et j’ai pu débriefer avec les formateurs qui étaient chargés de cette pratique et cela pour plusieurs groupes. Ces observations et ces débriefings étaient importants pour nous et en l’occurrence pour moi car dans mon groupe de recherche-action, j’avais besoin d’un lieu d’expérimentation pour pouvoir faire remonter des éléments au groupe de travail. A ce titre, j’ai assisté, observé et débriefé des séances d’APP.”

Une expérience issue des différentes postures lors de séances d’Analyse des pratiques

“C’est en tant qu’observateur que j’ai eu le plus conscience de ces éléments. Dans ma posture de consultant j’ai pu profiter et participer à des séances d’APP où j’ai  exposé des situations. J’ai été mis en « méta-posture » pour pouvoir relier et analyser ce qui s’était passé. Enfin, j’ai travaillé sur des améliorations de nos pratiques et proposé des outils aux personnes que nous accompagnions.”

Le déroulement des séances d’analyse des pratiques professionnelles

“C’était un système en 4 phases : la première était une phase d’exposition, ensuite une phase de clarification, une phase de propositions et enfin une phase de décisions.

Un cadre éthique était posé qui garantissait un lieu de bienveillance, de non jugement, où toute parole était accueillie pour elle-même. Ce que j’aimais bien, c’est que la 4ème des 4 phases, celle de la décision, appartenait exclusivement à la personne exposante. Cette phase pouvait exister à l’instant de la séance ou appartenir complètement à la personne en décalé. C’est-à-dire qu’elle pouvait nous faire part de la décision qu’elle avait prise ou non sans avoir à se justifier. Dans cette approche, j’ai trouvé cela très original et très libératoire.”

Quelques exemples de situations en séances d’APP

  1. “Je me souviens d’une collègue CPE venue exposer la problématique suivante : « Là où j’en suis, je me pose la question, est-ce que je continue dans cet établissement ou est-ce que j’arrête, et si je continue, est-ce que je continue dans cette posture et cette fonction et si j’arrête, qu’est-ce que je fais ? ». C’était vraiment un sujet lourd. Le temps de clarification a été long car il fallait qu’on prenne conscience du contexte spécifique de son établissement et de son propre contexte pour que les membres du groupe se détachent de leurs propres représentations par rapport à des contextes parfois similaires mais pas spécifiques à l’exposante. Dans ce groupe, il y avait des participants qui venaient de différents pôles de l’accompagnement du système scolaire, (psychologues scolaires, infirmières scolaires, chefs d’établissement, CPE, enseignants, ou conseillers d’orientation).

Chacun apportait quelque chose de très différent et complémentaire, et cette fois-là, je me suis demandé si la personne qui avait exposé son problème s’attendait à recevoir autant de solutions dans la quantité et si différentes ! Pour le « si tu restes » ou le « si tu pars », il y avait un tel panel de solutions possibles ! Cela a fait que même pour moi, le traitement de cette situation a provoqué un questionnement personnel. Aussi, j’ai accueilli toutes ces solutions possibles avec intérêt et me suis dit que dans sa situation je m’empresserai de rechercher ce type de groupe d’analyse !  Cela m’a profondément impressionné, frappé et marqué. Ces temps d’APP  où le collectif joue quelque chose de l’ordre de la résonance et de la démultiplication des possibles est un outil extraordinaire et fort.

Dès lors, il fallait surement aller creuser dans ce sens car il y avait quelque chose de bon à pratiquer cela.

Au final elle a gardé sa décision pour elle.  Cela m’a profondément frustré sur le moment pour les raisons d’identification que j’avais ressenti. Plus tard, elle nous a fait part de son besoin de partager sa décision et ses conséquences ! Elle est finalement restée tout tout en se nourrissant des propositions qui lui avaient été faites. C’est son regard qui avait changé sur sa situation ; elle avait changé de lunettes et regardait les choses différemment : « rien n’a vraiment changé et en même temps tout a complètement changé ! ». Pour ma part, j’ai été bouleversé deux fois car ce n’est pas cette décision que j’aurai prise !”

2. “Je me souviens d’une enseignante qui avait exposé une problématique, il lui était devenu presque difficile d’aller jusqu’à entr’apercevoir un élève qu’elle avait cette année-là. Elle n’en pouvait plus de cet enfant qu’elle n’arrêtait pas de mettre à la porte sous multiples prétextes. Elle se rendait compte qu’elle faisait subir à cet enfant une véritable injustice et qu’elle ne savait plus contrôler cet agacement permanent. Quand elle eut terminé son tour d’analyse et que des solutions lui furent proposées, elle était impatiente d’être le lundi matin sur le terrain pour retrouver cet enfant. 2 ou 3 propositions lui plaisaient et elle se trouvait pressée et même ressentait une certaine jubilation d’aller les essayer.  Elle était persuadée que quelque chose allait changer.”

De l’Analyse des pratiques pour qui ?

“Je dirais de façon générique et générale, toute personne en situation d’exercice professionnel, sans distinction de branche professionnelle ou de fonction a intérêt et à besoin de l’APP, c’est une hygiène de vie professionnelle. Pour moi, c’est très important quel que soit le métier, on a besoin d’être en méta-position pour réfléchir à ce qu’on fait. Et à plus forte raison dans tous les métiers d’accompagnement ! Et les enseignants et tous les métiers de l’éducation font partie de ces professionnels qui accompagnent quelqu’un.

Finalement, le focus profite à la personne qui est accompagnée. C’est donc une nécessité pour le professionnel de l’accompagnement que je suis.”

Que dire de l’éventuelle présence du chef d’établissement en séances auprès de l’équipe ?

“De mon point de vue qui reste très subjectif, lorsque l’on est en équipe « réelle » d’un organisme, d’un établissement, il est souhaitable que ne soient pas mélangés les différents niveaux hiérarchiques, si la situation est liée plus ou moins directement à une question de management. Il peut en effet y avoir des jeux conscients ou inconscients de management qui sont liés ou non à l’origine du mal-être de la situation problème qui est exposée. Comme il est difficile de prévoir à l’avance, il vaut mieux prudemment éviter ce « mélange » et rester entre pairs. La présence du supérieur hiérarchique peut freiner la dynamique des réflexions. J’ai même rencontré une situation où le supérieur hiérarchique s’est senti très mal.

Toutefois, le chef d’établissement peut travailler des problématiques avec son CoDir dans un autre temps …

Bien-sûr, il y a toujours la crainte pour le chef d’établissement de « ce qui se dit sans lui ». Mais c’est bien là l’intérêt de poser un cadre éthique rassurant où tout ce qui est dit respecte un non jugement, et des valeurs que l’animateur est à même de faire respecter, de contrôler et de réguler.”

Quelles sont les problématiques récurrentes en Analyse des Pratiques ?

“Du coté des enseignants : la relation aux élèves, la collaboration entre pairs, même si souvent chez l’enseignant il y a le tabou : « je n’ose pas montrer à l’autre que j’ai des difficultés à… et à demander des conseils, il y a aussi la relation à la hiérarchie, interne et externe, (vis-à-vis de son chef d’établissement mais aussi par rapport au rectorat, le corps d’inspection etc.., la relation avec les familles, soit les parents un peu démissionnaires, (comment les remobiliser) et les parents un peu « agressifs » qui demandent des comptes en permanence aux enseignants.

Du coté des chefs d’établissement : le management, le leadership, comment motiver, remobiliser les troupes, l’accompagnement des réformes, la gestion des «tensions» au sein des équipes et/ou avec les familles.

Sur l’ensemble aussi et de façon plus anecdotique, des questions plus personnelles sur la suite à donner à la carrière, comment rebondir devant des difficultés qui nous impactent.”

Quel format pour des séances d’analyse des Pratiques enseignantes ?

“Le format du groupe de travail recherche d’où j’ai tiré un de mes exemples, était de 2 jours sur un week-end une fois tous les 2 mois. Sinon, en tant que praticien, nous préconisions des demi-journées de 3h/3h30, ce qui permettait de travailler sur deux situations.

Nous constatons, par ailleurs, qu’en dessous de 6 participants, il n’y a plus la même dynamique d’intelligence collective et au delà de 12 cela commençait à être difficile. En effet, dans les grands groupes, des personnes avaient du mal à prendre la parole et à participer.”

Quelles sont les résistances à la mise en place de séances d’analyse des pratiques enseignantes ?

“Il y a surtout 2 problèmes qui me viennent :

  1. Une réticence des personnels enseignants / éducateurs qui « soupçonnent leur supérieur soit d’une « évaluation dissimulée des capacités professionnelles », soit d’une « punition des mauvais professionnels qui ont besoin d’être accompagnés pour devenir meilleurs ». Une espèce d’œil de Moscou qui à travers cette démarche viendrait vérifier les compétences des professionnels.
  2. Et l’autre réticence, celle des financeurs qui ne voient pas trop l’intérêt de dépenser de l’argent pour quelque chose qui n’a pas de « contenu ».

En fait si l’APP est programmée suite à une démarche de formation dans le cadre d’un suivi voire d’une piqure de rappel, il semble que c’est accepté, mais quand la demande est isolée, il y a des réticences.”

Des effets positifs de l’analyse des Pratiques sur le parcours professionnel

“Pour ma part, j’ai petit à petit acquis une seconde nature, à force d’assister, de participer voire d’être celui qui exposait sa situation. C’est une méta position quasi permanente, presque de l’ordre du réflexe. Cela a participé à enrichir ma capacité d’adaptabilité aux situations qui se présentaient.”

Plaidoyer pour des séances d’Analyse des pratiques extra-établissements avec des enseignants venant de régions et/ou d’établissements différents

“J’ai connu deux typologies d’organisation de séances : des groupes d’APP intra-muros soit une équipe d’établissement qui se retrouvait de façon régulière et aussi des groupes inter-établissements. Là, les participants se sentaient beaucoup plus libres dans leur parole et s’enrichissaient des apports des collègues non impliqués dans les situations.”

Je trouve donc l’idée excellente car cela a au moins deux vertus :

  • Éviter de se retrouver avec les personnes qui vivent le même quotidien professionnel et participent directement ou non à nourrir le problème abordé.
  • Découvrir d’autre conditions de travail dans des lieux professionnels réputés être identiques (l’établissement scolaire). Découvrir d’autres pratiques, d’autres façons de faire …

Je plaiderai donc pour que cette formule (non exclusive) soit offerte aux professionnels au sein d’une académie. Ainsi, il pourrait y avoir des regroupement d’activités similaires (par exemple, 3 ou 4 lycées professionnels d’un département travaillent sur des problématiques de lycée professionnel). Dès lors des groupes en «intra» pourraient s’enrichir du travail des groupes «inter». L’articulation des deux pourrait être assez passionnante.”

Pour conclure

Je pense qu’il y a une véritable lecture systémique à faire. Le fait de regarder l’organisation de l’établissement comme un micro-système dans lequel tout est interconnecté, ça donne sa place à l’analyse des pratiques professionnelles et en même temps, le système scolaire est un système interconnecté par le biais des établissements.

Aujourd’hui j’exerce en qualité de coach et je suis vraiment axé sur l’accompagnement des établissements, pas tant sur la formation car je crois qu’à l’intérieur de chaque personne et à l’intérieur de chaque organisation, il y a déjà une grande partie des ressources et des possibles. C’est en travaillant sur « faire tomber les freins et permettre d’aller vers un état désiré qui est rendu possible. Ainsi, je suis convaincu qu’une démarche d’analyse des pratiques permet d’enrichir et de participer à la mise en place des solutions pouvant être ressenties comme impossibles. C’est un outil complémentaire de l’approche que je préconiserais dans les établissements scolaires. A plusieurs, on est plus intelligent, on va plus loin, on est plus productifs, on fait davantage de choses et on dispose de leviers plus importants.

Propos recueillis par Patrice QUÉTARD, Intervenant en Analyse des Pratiques


[1] *Gérard Wiel a été formateur à l’IUFM de Lyon. Il est membre de l’Association pour le développement de l’accompagnement des adolescents et des jeunes (ADAJ). Il a publié, en collaboration, plusieurs ouvrages auxquels cet ouvrage donne sens : Sortir du mal-être scolaire, Accompagner l’adolescence, Faire de la classe un lieu de vie, Construire des stratégies de nouveau départ (Chronique Sociale).

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