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Le Mythe dans la Famille et/ou l’Equipe

Dans nos interventions, que ce soit dans le cadre d’une thérapie ou de l’analyse des pratiques professionnelles, la notion du mythe, mythe familial ou mythe de l’équipe de professionnels est à prendre en compte.

Mony ELKAIM pense que tout changement peut se faire à partir des liens qui se créent entre l’intervenant et la famille (ou l’équipe) et je pense que ces liens parlent des pôles mythiques des différents systèmes en jeu. Soyons attentifs aux croyances, aux règles et aux rituels des équipes auprès de qui nous intervenons, mais sans vouloir les changer, acceptons plus que jamais de les rejoindre non seulement dans la tête mais aussi dans leur cœur.

Le Mythe.

L’oracle prédit à Laïos qu’il sera puni de sa faute. De qu’elle faute s’agit-il ? Celle d’avoir abusé d’un adolescent qui, pour échapper à la honte, se suicide. Laïos n’hésite pas à recourir à l’infanticide pour échapper à la prédiction de l’oracle qui le condamne et veut tuer son fils. C’est grâce à l’exil qu’Œdipe échappe à la mort et cet exil qui le protège le condamne en même temps. Par ignorance de ses origines, il accomplit, par une tragique répétition, le meurtre et l’inceste. « Œdipe Roi » est représenté au moment où la République d’Athènes proclame des lois punissant de mort l’inceste et l’infanticide. La toute-puissance paternelle fait place au droit public. Ce conte métaphorique vient soutenir la loi en racontant une histoire terrifiante dans le but d’instaurer des limites aux agirs meurtriers.

Le Mythe et son histoire.

Nombre d’écrivains, de philosophes d’anthropologues de psychanalystes se sont penchés sur le mythe, ses origines et ses fonctions. Je ne vais donc pas essayer de donner une énième analyse ou étude sur le sujet, ce n’est pas le propos, il me semble cependant que pour clarifier ce qui va suivre quelques définitions sont nécessaires. Les mythes sont des inventions humaines qui nous accompagnent depuis la nuit des temps. Du grec muthos qui veut dire récit, légende, ils racontent en premier lieu l’histoire des origines. Ces mythes fondateurs ou cosmogoniques assurent les fondements des premières civilisations. Ils structurent la pensée et les croyances par la transmission. A travers des histoires métaphoriques, ils soutiennent des règles et des lois qui organisent les relations entre les membres d’un même groupe. Depuis l’antiquité, les mythes ont pour fonction de protéger les hommes en donnant un sens aux événements inquiétants et inexplicables du quotidien tels que les catastrophes climatiques, la maladie et la mort, l’univers et sa complexité. Ils mettent en scènes des dieux ou des héros capables de maîtriser ces événements et pouvant être remerciés par des rituels plus ou moins violents.

« Le mythe est un récit dont les éléments ne coïncident pas avec la réalité intégrale, mais qui, imaginaire, reproduit, par voie de tradition orale ou écrite, une tentative d’expliquer une difficulté d’ordre moral ou métaphysique. Il comble une lacune dans l’explication que l’homme se donne aux choses de la vie. Il motive un mystère. » (Michel Butor)

Il s’agit d’une histoire inventée par les hommes en fonction de leur culture. Histoire extraordinaire puisque son objet lui-même est extraordinaire et dont il faut en retenir le sens plus que le contenu. Ils structurent la pensée et les croyances en pérennisant la transmission des modes de relations entre les individus d’un même groupe, assurant ainsi sa survie. Ils deviennent indispensables à la vie de la communauté et ils sont partagés et ressentis comme indiscutables. Des rites et rituels leurs sont étroitement liés, créant des « espaces-temps » privilégiés où la spiritualité, les émotions et les expériences physiques sont souvent mis en jeux de façons exacerbées. Pour conclure cette brève présentation, je pourrai dire que le mythe est un recours pour l’homme chaque fois qu’il est face à un événement qui vient perturber son équilibre. Ainsi, il apparaît comme un conte qui permet des réaménagements psychiques individuels ou collectifs et par cela rend acceptable ce qui pourrait ne pas l’être. « C’est par sa fonction créatrice et organisatrice de symboles, en dédramatisant la souffrance, que le mythe invite à la surmonter. »(Patrick Vinois)

Le mythe familial.

Il n’y a pas de famille sans histoire d’ancêtres plus ou moins proches. Ils sont évoqués lors de réunions de famille et servent souvent d’exemples ou de modèles aux jeunes générations. Ils peuvent aussi être cachés et enfouis au cœur d’histoires sombres et dramatiques et venir « hanter » leurs descendances. Leur mémoire est alors amplifiée, ou déguisée au travers de récits véhiculant peur, honte et interdits. Le terme de mythe familial a été proposé par Antonio J. Ferreira dans les années 60. Il fait allusion aux attitudes de pensées du groupe familial qui assurent une cohésion interne et une protection externe. Le mythe familial a une fonction homéostatique. La famille se réfère à son mythe quand elle est en grandes difficultés, que les souffrances, réelles ou imaginaires, menacent de la transformer ou même de la faire disparaître. Pour Ferreira, le mythe familial est : « une croyance ou un groupe de croyances que la famille partage malgré des falsifications flagrantes et qu’elle utilise, en général, en faveur de l’homéostasie », « un certain nombre de croyances bien systématisées, partagées par tous les membres de la famille, au sujet de leurs rôles respectifs dans la famille et de la nature de leurs relations ». Il définit le mythe familial comme une structure pathologique qui empêche le changement et bloque l’évolution de la famille. Cela arrive quand ces croyances se rigidifient au point d’être vécues comme vérités absolues ne pouvant être remises en questions. La réalité de la famille est alors très différente de la réalité sociale et le mythe en sera alors d’autant plus fort. Mais cette conception n’est pas partagée par tous et les avis des différents auteurs semblent très divisés sur le caractère normal ou pathologique du mythe familial. Cela vient aussi parler de la complexité de ce concept, c’est pour cela que je n’ai pas l’ambition, dans ces quelques pages, d’aborder l’ensemble des différences, tant théoriques que cliniques, qui les distinguent. Je ne parlerai que de ce qui a retenu mon attention et qui prend du sens pour moi aujourd’hui. Ainsi, M. Andolfi pense que le mythe trouve ses racines dans les « trous » et les lacunes de l’histoire familiale. « Dans le mythe coexistent alors des éléments réels et imaginaires qui contribuent à la construction d’une réalité répondant aux besoins de l’homme. » L. Onnis parle de mythe du couple qui se définit par trois composantes : « Le mythe individuel de chacun des partenaires qui est le résultat tant de son vécu émotionnel envers la famille d’origine et de l’héritage qui en découle, que de la complexité de ses propres expériences de vie ; l’histoire du couple en rapport avec les étapes évolutives qu’il a réalisées ; l’histoire de la famille d’origine de chacun des partenaires. » R. Neuburger et P. Caillé parlent de mythe fondateur : « Une famille est : une unité fonctionnelle donnant confort et hygiène ; un lieu de communication, matrice relationnelle pour l’individu ; un lieu de stabilité, de pérennité, malgré ou grâce aux changements que le groupe peu opérer ; un lieu de construction de l’identité individuelle et de transmission transgénérationnelle : la filiation. L’ensemble est structuré, unifié par un ciment qui donne son identité au groupe, le différencie du monde extérieur, crée une différence. Ce ciment est le mythe familial : c’est la croyance montrée en des caractéristiques, des spécificités du groupe. » (R. Neuburger)

1 – Mythe familial et mythe social.

La famille vit dans un contexte social et en puise des règles, des croyances et des rituels. Cependant, elle les interprète et les adapte à sa propre histoire. « De toute façon il est évident que le mythe trouve toujours sa source dans la culture où la famille s’est créée et développée, même si sa spécificité dérive de l’histoire familiale ». (L. Onnis)

2 – Mythe et Histoire.

Il faut bien différencier le mythe de l’histoire. L’histoire familiale est racontée et transmise à travers les générations. Elle aide à apprendre et à comprendre et ainsi à trouver sa place dans la généalogie de la famille. Le mythe se construit sur les « trous » et sur les lacunes de cette histoire. Il n’est pas explicité par les membres de la famille, il est vécu par eux. Il ne peut être identifié que quand un de ses membres tente de le transgresser. « Sa structure de vérité partagée par tous les membres de la famille implique une impossibilité de remise en question et un caractère intemporel : personne ne sait quand ça s’est passé, il n’y a pas d’énonciateur. » (L. Onnis)

3 – Temps et mythe.

Pour M. Selvini ; trois générations sont nécessaires pour une élaboration intrafamiliale du Mythe. A. J. Ferreira insiste sur sa fonction stabilisante. Pour L. Onnis, il a une fonction importante dans l’équilibre familial car il procure un sentiment d’appartenance fort et unifie les membres de la famille. « Sa plasticité aux changements est faible et le mythe risque alors d’arrêter le temps, d’immobiliser l’histoire de la famille, quand les croyances et les comportements que celle-ci détermine ne s’adaptent plus à l’histoire réelle, aux événements extérieurs, au cycle de vie. » C’est parce qu’il se construit à partir d’événements du passé qui ont mis la famille en « danger » que le mythe crée des liens invisibles mais puissants entre présent, passé et avenir.

4 – Fonction du mythe familial.

Tous les auteurs s’accordent sur la fonction d’appartenance et identitaire que revêt le mythe familial. Il est le garant de l’unité familiale. Il a des fonctions normatives. Pour Byng-Hall :“Le mythe, par son contenu, met en évidence ce qui doit se faire ou être conservé.” L. Onnis pense que le mythe remplit une fonction normative auprès de l’individu. « Le mythe donne à chacun un rôle et une place dans la famille et dans la société. » G. Ausloos dans sa définition du secret de famille écrit que le mythe a une fonction défensive : « Le mythe pourrait donc avoir pour fonction de dissimuler, en la rendant superflue, une règle qui elle-même découle plus ou moins directement d’un secret. » Pour L. Onnis, le mythe a aussi des fonctions homéostatiques et c’est justement ce qui peut lui donner un caractère pathologique. « En effet, si le sentiment d’appartenance et d’identité est poussé à l’extrême et si l’individu, pour ne pas courir le risque d’être rejeté du système ou de provoquer sa fragmentation, doit renoncer à sa pleine réalisation ; si la famille, congelée dans ses croyances, doit stopper sa croissance en bloquant les potentialités évolutives de ses membres, nous nous trouvons face à une fonction pathologique. » La famille « utilise » la fonction souvent exemplaire du mythe pour se protéger d’événements ou de comportements qui l’ont mise en danger dans le passé et pourraient la mettre en danger à nouveau. Ils ne sont que rarement identifiés et c’est par cela que la force de leurs messages crée obligations et interdits.

Les rituels.

Comme je l’ai dit plus haut, rites et rituels sont étroitement liés aux mythes. Ils se renforcent mutuellement. « Le mythe inclut des informations sur l’accomplissement du rite et des rituels dans les générations précédentes et le rite, de même que les rituels, illustrent concrètement les valeurs incarnées par les mythes. » (A. Courtois) Pour beaucoup d’auteurs, les rituels familiaux aident à instaurer des règles qui préservent et perpétuent concrètement le mythe. Si on va vers une définition plus large, les rituels sont des conduites collectives codifiées qui utilisent des moyens d’expression corporelle et verbale, qui sont plus ou moins répétitifs, qui ont une charge symbolique plus ou moins forte et concernent des croyances, des valeurs, des désirs, des aspirations, des choix de sociétés. Au fil de mes lectures sur les rituels, j’ai pu lire un compte rendu de conférence donnée par A. Piette, sociologue, dans lequel, s’appuyant sur les travaux de G. Bateson, il dégageait le côté « jeux » du rituel. Le côté ludique vient du fait que ce qui se passe dans un rituel n’est pas vraiment pour de vrai. Il prend l’exemple d’un match de foot qui pourrait être la ritualisation d’un conflit entre deux villes ou deux pays. Ce qui se passe sur le terrain n’est pas vraiment un combat, mais ça n’est pas non plus très convivial. Ce n’est pas vraiment de la violence (quoique…) mais ça n’est pas non plus très cordial. C’est ce côté « pas vraiment » qui a retenu mon attention. C’est cette ambivalence, cette ambiguïté présente dans le rituel qui m’intéresse. Il continue un peu plus son analyse du rituel : « Cela veut dire que le rituel ne se déploie pas uniquement avec gestes et objets renvoyant à une multitude de signifiés, mais que le rituel va aussi en même temps se donner avec beaucoup d’autres signifiants sur le mode de l’énumération, de l’amplification, de la répétition. » (A. Piette) Pour lui, pendant le rituel il y a simultanément le message et un ensemble de signifiants qui en suspendent le sens. « Ainsi, le rituel se situe dans cet espace-temps d’entre-deux où les choses sont poussées à fond, mais en même temps ne comptent pas. » (A. Piette) Il conclut en disant : « L’idée, c’est que le rituel fait circuler l’être humain dans une sorte de parcours entre le sens et le non-sens, lui disant toujours « ce n’est pas ça », entre la fiction et la réalité, la croyance et la non-croyance, la présence et l’absence. » (A. Piette) Cette approche me semble tout à fait pertinente, surtout si on la met en lien avec une des fonctions du rituel en thérapie familiale. Toutes les familles mettent en place des rituels, que ça soit rituels quotidiens (levers, repas, soirées…) ou rituels événementiels (Noel, anniversaires, décès….). Ils ont vraiment pour fonction principale d’unifier le groupe. Beaucoup de thérapeutes repèrent les rituels familiaux et en proposent d’autres afin d’avoir accès au système mythique de la famille.

« Mais sans le mythe, toute culture est dépossédée de sa force naturelle, saine et créatrice.Seul un horizon constellé de mythes parachève l’unité d’une époque entière de culture. » (Nietzsche ; Naissance de la tragédie)

Equipe, Mythe, Famille