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L’Analyse des Pratiques, un temps pour la réconvivialité ?

convivialite équipe

Silences polis, indifférence, vis ages fermés, yeux baissés… Les expressions des participants aux réunions d’équipes trahissent parfois la difficulté, pour les cadres, à instaurer un climat de convivialité au sein de leurs équipes. Engendrer des discussions sur le travail qui soient les plus vivantes, franches et démocratiques possibles s’avèrent souvent être une gageure. Mais le cadre est-il le seul responsable de ces climats défavorables ? Comment une équipe peut-elle restaurer par elle-même sa convivialité ?

La « réconvivialité » est pour moi la capacité que peut développer un collectif à veiller ensemble à entretenir, voire à rétablir quand c’est nécessaire, sa convivialité. Que ce travail puisse se réaliser en analyse des pratiques professionnelles ou dans le cadre d’un groupe de parole, il m’apparaît être un chantier prioritaire dans le monde professionnel, et tout particulièrement dans les nombreuses structures du travail social et des soins dans lesquelles la convivialité est censée être également au cœur de toutes relations avec les usagers et les publics.

A première vue, la convivialité est un terme qu’on utilise le plus souvent pour décrire l’ambiance « sympa », « joyeuse », « cool » d’un group ou d’une équipe, qu’on retrouve principalement dans les interstices de la vie professionnelle : durant les déjeuners entre collègues, les apéros ou les pots de fin de semaine. Ce sont autant de moments qui sortent ponctuellement les équipes de leurs tensions, séparations, ressentiments ou fatigues qui, le reste du temps, les plombent et les empêchent d’évoluer dans de bonnes conditions.

Qu’est-ce que la convivialité au travail ?

Dans le dictionnaire Le Robert, la convivialité se définit comme des « rapports positifs entre les gens, dans la société ». J’ajouterai à cette définition qu’elle est « l’état relationnel dans lequel la confiance est suffisamment bien installée pour permettre à un collectif d’atteindre favorablement ses objectifs ou son dessein commun ». Aussi, dans le cadre professionnel, tant que l’objectif est de passer un bon moment ensemble à midi ou à l’apéro, alors la convivialité s’invite facilement, parce qu’une confiance minimum est suffisante pour pouvoir y parvenir ensemble (rien de bien compliqué à manger ensemble et à parler de la pluie et du beau temps, du film vu à la télé la veille au soir, de sa vie de parent, ou de sortir son fiel vis-à-vis du chef). Il est en revanche beaucoup plus difficile d’installer cette convivialité dans une réunion d’équipe dès lors qu’il s’agit de chercher ensemble à y résoudre les problèmes complexes de communication, de coopération, d’organisation ou bien encore d’efficience individuelle ou collective, ou tout simplement d’aborder les « sujets qui fâchent ».

Les « rapports positifs entre les gens », qui passent donc par la confiance, s’avèrent être nécessaires pour pouvoir s’atteler ensemble à des discussions sur le travail qui doivent prendre en compte les besoins et les motivations de chacun à l’intérieur d’un incontournable « conflit démocratique sain », c’est-à-dire dénué des violences qui trop souvent l’accompagne en l’absence de confiance.

Changer la vie jusque dans l’institution

Mais si la convivialité revêt autant d’importance, c’est aussi parce qu’elle dépasse largement les limites d’une simple équipe, pour concerner l’institution, voire la société tout entière. Selon le philosophe Ivan Illich, l’un des pères de l’écologie politique, dans son livre La Convivialité paru en 1973, l’avènement de l’industrialisme, du productivisme et du consumérisme qui en a découlé dans notre société dite « moderne » a mis à mal les rapports positifs, au point que se sont généralisées des tentations bureaucratiques et technocratiques « d’asservissement de l’homme par la machine » – la machine étant, avec le temps, à concevoir jusque dans « l’industrie » des services, de la santé, du social ou encore de l’éducation.

Pour Illich, « nos rêves sont standardisés, notre imagination industrialisée, notre fantaisie programmée. Nous ne sommes capables de concevoir que des systèmes hyper-outillés d’habitudes sociales, adaptées à la logique de production de masse. Nous avons quasiment perdu le pouvoir de rêver un monde où la parole soit prise et partagée, où personne ne puisse limiter la créativité d’autrui, où chacun puisse changer la vie ».

La bonne nouvelle, c’est que ce que nous avons perdu, nous pouvons le retrouver, petit à petit, cercle après cercle, à partir du cœur même de nos organisations, de nos collectifs, dès lors qu’on reconnaît que, sans la convivialité, nous manquons de ce qui fait pleinement de nous des êtres sociaux, joyeux, créatifs, empathiques, solidaires, mutuellement soutenants, pris que nous sommes dans un dysfonctionnement collectif subtil jusqu’à en oublier inconsciemment notre humanité.

 La réconvivialité mode d’emploi

Savoir rétablir (ou instaurer) la convivialité ne va pas de soi : la confiance ne peut être restaurée (ou installée) sans faire l’économie d’un travail sur tout ce qui l’en empêche encore. Pour Charles Rojzman, l’inventeur de la thérapie sociale, la confiance n’est rien d’autre que l’absence de peurs. Il devient donc nécessaire, pour pouvoir apprendre tous ensemble à entretenir et restaurer la confiance et la convivialité, de savoir de mieux en mieux reconnaître les peurs qui nous manipulent encore, et de savoir de mieux en mieux les regarder en face pour pouvoir les traverser, les transformer et les surmonter. A quels dangers correspondent ces peurs ? Un manque d’informations de la part de la Direction ou des collègues ? Un manque de sécurité dans les engagements des uns et des autres, dans la possibilité de faire valoir librement et sans risques ses vrais besoins et ses vraies motivations, ou dans le contrat de travail ? Un manque de reconnaissance envers le travail fourni ou à fournir ; une reconnaissance qu’on manque parfois de se donner à soi-même ?

Travailler sur les peurs et les dangers

Les peurs sont toujours réelles, tandis que les dangers qui leur correspondent, eux, sont soit réels, soit imaginaires ou fantasmés. Dans un travail de rétablissement de la convivialité, il s’agira surtout de regarder ensemble la réalité des dangers pressentis dans l’exercice de son travail et /ou au sein de l’équipe et de ses missions, que chaque participant pourra apprendre peu à peu (à son rythme, en toute liberté et sécurité permises par l’animateur formé à cet effet) à reconnaître derrière les sentiments négatifs qui l’habitent, et ce, avec l’aide des autres : est-il si dangereux, par exemple, de ne pas trouver immédiatement une solution pour un enfant en difficulté, malgré le regard qu’on imagine jugeant de la part de l’institution ou des collègues ? Cet enfant n’aurait-il pas juste besoin d’être écouté et accompagné, même imparfaitement, jusque dans ses propres angoisses ?

En œuvrant ensemble à regarder les obstacles à la convivialité, les participants pourront mettre en place, avec l’équipe et avec eux-mêmes, une nouvelle « mécanique d’observance » : de quoi ai-je (as-tu, a-t-il, avons-nous, avez-vous, ont-ils) peur (doute, crainte, soupçon, inquiétude, appréhension…) ? Quels sont les dangers réels et les dangers imaginaires liés à ces peurs ? Quel est ma sensibilité personnelle (et mon passé) qui me font avoir peur de dangers imaginaires ? Quelles actions dois-je (ou devons-nous) mettre en œuvre pour éliminer ou prévenir tel ou tel danger réel ? Quels besoins se cachent derrière mes peurs auxquels je n’ai pas répondu ? Un besoin de subsistance ? D’information ? De reconnaissance ? De sécurité ? (les quatre familles de besoins identifiées par Rojzman). Comment vais-je répondre à ces (nos) besoins, comment allons-nous pouvoir le faire ensemble, quitte à faire ensemble des demandes au cadre ou à la Direction ?

Reconnaître nos blessures communes

L’acquisition avec le temps de cette nouvelle mécanique collective d’observance ne profite pas qu’aux participants eux-mêmes, mais aussi à tout leur entourage, à tous ceux avec lesquels ils entrent en relation et avec qui ils créent des liens. Ce travail de réconvivialité a donc un effet boule de neige, de proches en proches, a minima dans l’organisation et l’institution. Il a une grande vertu : d’oeuvrer tous ensemble à prendre conscience et à comprendre avec le temps la réalité de nos blessures communes qui nous ont rendus collectivement si sensibles et parfois si rétifs à certaines situations incertaines, inconfortables, stressantes ou complexes, pour lesquelles les dangers réels s’avèrent souvent, finalement, sinon inexistants tout du moins surestimés. La réconvivialité puise dans la force du collectif pour pouvoir transformer ensemble des habitudes relationnelles : y a-t-il ici un danger à ce que j’écoute vraiment l’autre, à ce que je lui exprime quelques mots de reconnaissance qui lui redonneront confiance ?

La réconvivialité passe aussi par la prise de conscience collective des violences et des blessures de « déconvivialité » que chacun a eu plus ou moins à subir, souvent inconsciemment, durant son existence : déracinement des traditions et parfois de sa terre d’origine, abandon du bébé que je fus (« Il faut le laisser pleurer » disait-on par exemple jusque dans les années 80), maltraitances et soumissions dans l’éducation, y compris à l’école (passer des journées entières assis sans parler), société de l’image et du perfectionnisme nous amenant à subir (par soi-même ou par les autres) des « faux-selfs » générant manipulations, fausses bienveillances, fausses bientraitances, etc. Comment ces blessures collectives ont-elles nourri – et nourrissent encore – nos croyances limitantes et nos stratégies d’évitement ou de protection ? Comment œuvrer ensemble à recréer ou transformer des environnements afin qu’ils soient plus sains et qu’ils ne nous blessent plus ?

Réapprendre à être libre au sein de l’équipe

YVES LUSSONDans le cadre d’analyses de pratiques, de supervisions d’équipes, de groupes de parole ou autres discussions sur le travail, l’approche de la Thérapie sociale TST est un outil qui répond bien au besoin de réconvivialité des équipes et des institutions. On y acquiert peu à peu une nouvelle posture et une sensibilisation au processus de rétablissement de la convivialité, tout en découvrant l’importance des règles de base nécessaires à la construction de la confiance : l’engagement de présence dans un groupe stable et formé pour toute la durée de la session, la liberté de participation (de prendre la parole quand on veut ou de ne pas la prendre) ainsi que la confidentialité des échanges vis-à-vis de l’extérieur du groupe. Ainsi, le groupe d’analyse, de supervision, de parole ou de discussion, pour peu que le temps nécessaire lui soit reconnu et alloué, peut devenir une cellule réconviviale propre à transformer les relations dans l’équipe mais aussi à terme la vie de l’institution, en tant que corps de plus en plus organique au service de l’humain et de son environnement.

Je laisse à Ivan Illich le soin de conclure : « L’homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent, de leur donner forme à son goût, de s’en servir avec et pour les autres. La vie dans une société conviviale et moderne nous réservera des surprises qui dépasseront notre imagination et notre espérance. »

Yves Lussonanimateur d’analyses de pratiques professionnelles, de groupes de supervision, de paroles ou de discussions – Intervenant en Thérapie sociale TST


Crédit photo : PxHere

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