J’interviens en analyse des pratiques professionnelles au sein des établissements sociaux et médico-sociaux, sanitaires et scolaires. J’interviens dans la région Auvergne -Rhône-Alpes et en Suisse. Pour commencer, il me semble que la présence d’un superviseur/régulateur d’équipe dans les établissements est une pratique indispensable pour plusieurs raisons.
D’une part, la supervision permet d’améliorer les pratiques des soins et les diverses prises en charge, en les rendant plus homogène.
D’autre part, l’analyse des pratiques professionnelles permet aux équipes de prendre du recul sur les pratiques et d’identifier les points forts et les points faibles des participants sur des cas complexes.
Ce dispositif est encadré par un devoir de confidentialité de la part des membres présents, mais aussi par le superviseur lui-même.
Il vise à mettre le groupe au travail, en outre: les faire “accoucher” de leur propre réflexion. Nous appelons cela “Maïeutique Socratique“, ou l’art d’accoucher les esprits. Il est important de noter que le superviseur n’impose pas sa volonté, il insuffle seulement, il aère la pensée afin que la capacité créatrice de chacun prenne le relai. En outre, pouvoir passer du “signifié” au “signifiant” pour trouver les causes, ce qui fait obstacle, ou plutôt ce qui bloque la pensée du groupe.
D’autant que le savoir total n’existe pas, mais que le superviseur est souvent mis à cette place de “sujet supposé savoir“. Pourtant, le “sujet supposé savoir” n’est pas le sujet sachant, bien qu’il faille avoir beaucoup de connaissances pour accepter de laisser cette place vide, afin d’aider à l’élaboration de chacun. Il faut alors que le superviseur s’harmonise avec le groupe tout en s’effaçant, pour laisser celui-ci trouver par lui-même ce qu’il sait déjà implicitement. D’ailleurs Kant disait “qu’il n’y a pas de pire tyrannie que vouloir faire le bien d’autrui” sans l’autre.
Il convient alors pour le professionnel de délimiter l’impossible, afin de trouver du possible. Cela permet de se décoller des “constellations transférentielles“, et d’accepter ses propres limites d’où un lâcher prise salvateur pour le superviseur et l’équipe. En effet, en supervisant il ne faut pas répondre à une demande de “savoir” mais plutôt favoriser le déplacement de la pensée. En outre, il y aura toujours un trou, du vide, du manque et il conviendra de renvoyer au groupe son propre savoir afin de sortir de l’aliénation.
Par conséquent, le superviseur ne doit pas brandir son savoir comme un “phallus” (toute puissance), mais ne jamais oublier de laisser la place vide, et plutôt de s’interroger. Qu’est ce que cela me fait? dans quelle position suis-je? qu’est ce que je ressens? quelle résonance en moi? en outre, accorder de la valeur à ce qui l’interpelle. Cela permet de trouver le “signifiant maître” et de découvrir l’énigme, afin d’accompagner le groupe dans le cheminement de sa pensée. Notre point d’appui est ce qui nous reste hors symbolique, donc le réel. En supervision ce n’est pas le sujet qui sait, mais son symptôme.
Lacan disait “L’analyste a horreur de son acte, mais parfois quelque chose jaillit“. Je note donc, que la supervision est avant tout un travail de dépouillement, et qu’il faut faire taire ses pensées intérieures afin d’écouter le groupe. Et par conséquent encore une fois laisser la place vide, ce que j’en conviens peut paraître paradoxal. En effet, en supervisant nous sommes dans le réel qui est très difficile à définir, car il est propre à tout un chacun et donc singulier. Souvent c’est ce qui nous échappe, ce qui ne peut être signifié. Le réel ne s’attrape pas, mais il se rencontre, il est donc hors substance ( si j’ose dire c’est ce que l’on prend dans la figure, sans que l’on s’y attende).
En conclusion, je dirai que ce n’est pas le soin technique et l’application de celui-ci qui est le plus important, mais l’implication dans la rencontre clinique. Donc, la question du désir du superviseur, dont la relation est mise à l’épreuve aujourd’hui par l’hyper capitalisme dans le tout et tout de suite, qui efface la frustration importante pourtant pour tout sujet. Cela s’appuie sur le manque, le “trou” dans le savoir. D’autant qu’ il est difficile pour une équipe de se penser (panser) comme une équipe. D’où l’importance du superviseur pour recentrer le débat, donner du sens quitte à” frustrer ” un peu et interpréter certains silences. En supervision, il est question de symboliser le réel qui ne symbolise pas, mais pourtant qui s’est passé à un moment précis. Il faut alors accueillir le ressenti de chacun, et assumer la fonction contenante au sein du groupe. Nous existons d’abord par le regard de l’autre, et ne percevons pas le réel de nous même dans le miroir qui est inversé. En outre, nous ne pouvons pas nous passer du regard de l’autre, mais nous devons nous en dégager. De plus, par la parole nous quittons le réel de qui nous sommes et cela peut nous enfermer. Le superviseur doit donc être “ventriloque” en élaguant la toute puissance de son propre désir (fantasme). Il devra donc de manière inconsciente faire taire ses désirs, afin que le groupe chemine avec lui à son propre rythme et à sa propre pensée.