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Perte de sens au travail dans le médico social et sanitaire

Diriger, soigner, éduquer

Trois métiers impossibles : Diriger, soigner, éduquer

C’est dans la préface à « Jeunesse à l’abandon » d’Aichhorn en 1925, puis dans « Analyse terminée et analyse interminable » en 1937 que Freud emploie l’expression, « métiers impossible » pour qualifier les activités humaines qui consistent à diriger, à soigner et à éduquer.

Il convient de noter qu’antérieurement et, parfois depuis l’avènement même de ces fonctions, les praticiens l’avaient remarqués, ce que démontre la multiplication des stratégies ou des méthodes utilisées.

La philosophie politique à travers les âges est révélatrice de ce point en ce qui concerne la gouvernance. Des traités d’Aristote (La République) à ceux de Cicéron, puis plus près de nous Nicolo Machiaveli et son « Prince » jusqu’au management moderne on assiste au long des pages à ce constat, ça rate !

L’histoire passée et contemporaine est là pour l’attester, il n’est possible de se soutenir à cette place où l’on gouverne qu’au prix d’accepter que cela échoue dans des proportions plus ou moins conséquentes. C’est l’enseignement que Bossuet dans une fulgurante anticipation transmettra au jeune Roi de l’époque, gouverner c’est tenir compte de la part insaisissable de l’homme.

Du côté du soin, la dimension d’impossible de cette fonction s’est imposée dès l’antiquité dans un syntagme épuré, aider le patient à rester en vie.

Les progrès de la médecine moderne ont beau tenter de faire oublier ce point d’évidence, mais au bout, c’est la maladie qui triomphe emportant avec elle la vie du patient et rappelant à la médecine le combat impossible dans lequel elle est engagée.

Enfin, le métier d’éducateur qui se développe au XIX ème Siècle ne sera pas épargné lui non plus par cette rencontre blessante. Confondant ses efforts avec l’hygiénisme et notamment en s’intéressant à la sexualité des enfants, puis s’en dégageant peu à peu, les tentatives éducatives ont très vite reconnue leurs limites face à un point d’inertie. Ce qui continue à être le « pain quotidien » des personnes ayant choisi d’en faire leur activité professionnelle.

Si S. Freud, n’est pas le seul à avoir repérer ce point caractéristique de ces fonctions, ce qu’il apportera réside dans l’apport de sa compréhension du phénomène. Rappelons que S. Freud réunissait en lui des caractéristiques qui lui ont permis de mettre à jour les mécanismes à l’œuvre et qui rendent en partie ces métiers impossibles.

Médecin de formation, il sera le témoin comme tout médecin, de l’impossible de cette fonction qui se trahit d’une impuissance. Pratiquant, l’hypnose soit en d’autres termes une méthode de suggestion et recourant pendant un temps à la méthode explicative il fera l’épreuve des limites de ces méthodes enseignantes. Enfin, vivant en des temps troublés il pourra constater l’impossibilité de gouverner les hommes.

Toutefois, c’est à partir de sa pratique auprès de patients à qui il donne la parole qu’il dégagera ce qui rend ces tâches impossibles et cette butée, il lui donnera le nom de pulsion.

Ou encore, nous pourrions dire que la pulsion est en l’homme, ce qui est inéducable, ingouvernable et inguérissable. Plus avant, il mettra à jour que la pulsion se caractérise d’être répétitive ignorant les affres du temps.

Lorsque s. Freud parlera de la pulsion, il lui conférera des caractéristiques, sa source, son objet, sa poussée et son insatisfaction.

La pulsion est un concept que Freud définira comme une force constante présente chez l’homme, une force permanente qui cherche à se satisfaire par le biais d’un objet. Sa satisfaction n’est jamais que provisoire, sitôt satisfaite et toujours partiellement, sa montée en puissance se répète.

Autre caractéristique de la pulsion, Freud mettra à jour qu’elle peut sous certaines conditions changer d’objet, se retourner en son contraire, investir le corps du sujet en provoquant des symptômes, en d’autres termes, rien ne peut véritablement l’endiguer, elle est un impératif absolu qui trouvera toujours un mode d’expression.

A titre d’exemple, si la pulsion orale via l’éducation et les soins maternels s’humanise en besoin de nourriture, il y a un reste. L’enfant suçote, porte des objets à sa bouche pour satisfaire ce reste de pulsion orale.

Mais si nous poursuivons cet exemple de la pulsion orale, nous savons que chez certains humains la pulsion orale aura des destins bien différents d’un sujet à l’autre, en faire profession dans des métiers dit « de bouche », développer une addiction au tabac voire développer des troubles du comportement alimentaire etc. Autant de manifestations qui ne sont que l’expression de la pulsion.

Notons un premier point,c’est bien parce que la pulsion répète chez les sujets, que les pratiques qui se donnent pour objet de la canaliser voire de la contrer sont elles mêmes des pratiques empruntes de répétition, obligeant les professionnels à redire et/ou refaire sempiternellement la même chose. Ce qui constitue là une première source d’usure ou de lassitude.

Du désir contrarié à la désidéalisation de la fonction.

Il y a donc la pulsion du côté des sujets dont s’occupe toute pratique de gouvernance, toute pratique de soin mais aussi, toute pratique éducative.

En regard de cela, il y a chez le professionnel un désir, un désir qui relève de coordonnées subjectives plus ou moins avouées, plus ou moins obscures mais dont l’une des caractéristiques est de souhaitez une amélioration quelconque de la personne dont le professionnel s’occupe.

Sur un autre plan, le professionnel est toujours animé d’un certain Idéal et cela quelque soit sa teneur, ce qui donne concrètement des perceptions différentes de ce qui se conçoit comme amélioration.

C’est de ces repérages parfois implicites que se constitue la professionnalisation comme il est dit de nos jours. Soit, de proposer un dispositif de limitations des professionnels sur le fond d’un savoir particulier, celui qui consiste à avoir repérer que le moteur de ces tâches prend toujours racine dans des composantes subjectives. En d’autres termes, c’est parce que ce dernier point est un savoir que des règles, des lois professionnelles sont fixées. La professionnalisation en tant que logique, entretient donc un rapport de prudence avec les professionnels en tant qu’ils sont aussi des êtres désirant et animés d’un Idéal.

La tâche professionnelle, si elle se caractérise par une certaine technicité, peut dés lors être perçue d’une toute autre manière. Elle est aussi le lieu d’une conflagration entre un désir doublé d’un Idéal et la répétition pulsionnelle qui elle ne se laisse pas dompter.

Nombre d’exemples de la pratique peuvent illustrer ce point nodal.

Fille d’une femme battue et d’un père condamné pour inceste, cette jeune fille a toujours été très gratifiante pour les professionnels : Plus tard elle ne fera pas comme sa mère, plus tard elle rencontrera un garçon bien.

Comme me diront les professionnels, elle est bien élevée, reprenant à son compte le discours des professionnels lui donnant des arguments de raison.

Puis vient l’adolescence.

La question de son rapport au garçons se pose pour elle.

La jeune fille annonce alors qu’elle a rencontré un petit ami, elle qui tenait un discours très prude. Les professionnels sont satisfaits, elle en fait l’éloge, il est gentil, attentionné, issu d’un milieu aisé, elle a bientôt 18 ans, elle envisage l’avenir avec lui, l’institution se réjouit de la réussite de cet accompagnement, elle va s’en sortir !

De retour d’un week-end, elle dira qu’elle s’est fait agressée, elle a le visage tuméfié, son éducatrice veut l’accompagner au commissariat pour porter plainte. La jeune fille rechigne puis accepte. Sur le chemin elle change d’avis à la surprise de la professionnelle et là « hors cadre », lui dira que c’est son petit ami qui l’a frappé. Lui n’y est pour rien, c’est de sa faute à elle, elle l’a poussé à bout !

Les jours qui suivront vont être le temps de la destitution des professionnels. Devenue majeure, elle apprend aux professionnels qu’elle va quitter l’institution et aller vivre avec son petit ami. Les mise en gardes, les entretiens rien n’y fera.

Dans un tout autre champ d’activité :

Il s’agit du cas d’un jeune homme accueilli en IME.

R… est errant dans l’institution, il est « ingérable ». Il ne peut rester en place en atelier, sort, rentre et s’absente. Ces absences des ateliers ne sont pourtant pas sans motif. Lorsque l’occasion s’en présente, il s’empare de palettes de bois de livraison et passe son temps à les démonter à la seule force de ses bras, arrachant les lames de bois, extrayant les clous à la main, puis il range ce bois et jette les clous dans une poubelle.

Les rappels à l’ordre des professionnels et des cadres, les sanctions répétitives, la menace de renvoi, rien n’y fait. Questionné sur ce comportement je soulignerais par un « c’est plus fort que lui ». Décision est prise, il perd son temps, il doit aller en formation en atelier, les palettes doivent disparaître de sa portée.

R… continue malgré tout à quitter les ateliers mais au moins, il arrêtera car il n’a plus rien à faire !

Un soir un professionnel prend sa voiture, il démarre et là la voiture s’affaisse du train avant, les deux roues étaient déboulonnées ! Stupéfaction du professionnel, incrédulité de tout un chacun comment cela a-t-il pu arrivé ? Un dépanneuse viendra, impossible de remonter les roues sans vérifier que rien n’est faussé.

C’est quelques jours plus tard que cette affaire se dénouera.

Un homme d’entretien passe par hasard et remarque un fait étrange, il manque une roue à une des voiture stationnée, il entend du bruit, fait le tour.

R… est accroupi souriant, radieux, il s’évertue à dévisser un goujon à la main. Reçu pour s’expliquer, il dira qu’il s’ennuyait, qu’il n’a rien à faire !

Questionné sur cette situation je soulignerais par un « il n’y a rien à faire contre cela ! ».

Ce sera dans un climat de renoncement que l’institution acceptera à nouveau de le laisser démonter des palettes et tolérera ses absences des ateliers, climat traduisant la présence d’un désir contrarié, celui de voir R… cesser cette activité et d’une désidéalisation, celle du rêve de normalisation de R…

L’environnement et l’organisation

Le système formel et informel : entre souhait et insatisfaction.

Mettons en avant l’une des caractéristiques du désir de l’humain.

Comme l’enseigne la clinique, le désir n’est pas sans objet mais il entretient avec lui une relation labile ou en d’autres termes, la condition d’existence du désir est son insatisfaction auquel cas il disparaîtrait.

Il appert donc ici un point central dans cette dialectique qui consiste en une double impasse. Il y a le désir et son objet, l’approche de cet objet est possible, mais pour que le désir se soutienne, il doit rater son objet. Cette première voie du désir maintient l’insatisfaction chez tout sujet. L’autre voie serait que le désir conquiert son objet et cela équivaudrait à une extinction du désir sans lequel plus rien n’aurait de sens.

L’homme est donc voué à une insatisfaction fondamentale que l’on retrouve à l’oeuvre dans le monde professionnel et dans laquelle s’origine pour lui une souffrance.

L’une des expressions de cette insatisfaction se retrouve au niveau des institutions dans la co-existence de ce qui s’y repère comme système formel et informel.

Le système formel se défini d’être l’organisation telle qu’elle est conçu afin de faire fonctionner une institution. Il s’agit de cet ensemble de règles, de contraintes dont il n’y a pas lieu de mettre en cause leurs nécessités.

Le système informel lui se caractérise de ces espaces interstitiels qui échappent au contrôle, à la prévision pour le dire, à la gouvernance.

La question en termes professionnels devient dés lors, de quel côté l’insatisfaction est-elle la plus importante ?

Est-elle du côté de l’insatisfaction que crée le système formel de par les limitations qu’il impose aux souhaits professionnels ou bien est-il plutôt du côté de la rencontre avec l’insatisfaction structurelle du souhait que dévoile le système informel ?

Il appert dés lors une aporie, sans loi ou système formel, l’homme se croit libre mais il est en fait seul avec son désir à la dérive , ce que Lacan contractera dans une formule « sans loi plus rien n’est possible », mais confronté à la loi il doit renoncer à certains de ses désirs et s’en trouve insatisfait.

La psychologie des groupes et les renoncements individuels.

Tout groupe humain, exige de ses membres des renoncements.

C’est par ce syntagme minimal que l’on peut rendre compte du caractère difficile pour les humains de se ranger dans un collectif.

C’est dans son texte intitulé « malaise dans la civilisation » que S. Freud mettra en exergue ce point de difficulté du rapport de tout sujet à une communauté.

Ce texte tardif fait suite à la mise à jour que l’homme est traversé par une pulsion de mort foncière qui l’amène sur les pentes de la destruction et qui constitue le thème de son texte « Au delà du Principe de plaisir ».

Le groupe est donc ce qui exige de l’humain à ce qu’il fasse taire ces motions pulsionnelles et qu’il n’exprime que les pulsions d’amour, de liaison, le groupe de ce point de vue fonctionne comme un censeur.

Or nous l’avons vu, la pulsion est une force permanente, inéducable, ingouvernable et inguérissable. Réduite au silence, cette pulsion de mort devra frayer par d’autres voies que celle d’une expression directe.

Elle peut emprunter deux voies non exclusives l’une de l’autre, la voie rétrograde où cette pulsion se retourne sur le sujet lui même et c’est le risque du symptôme, ou la voie progradiante qui s’exprime dans une hostilité par rapport au groupe, le risque devient dés lors celui de la perte de l’estime et de l’amour du groupe soit l’émergence de l’angoisse (Cf. « L’avenir d’une illusion »).

Or les liens qui cimentent un groupe sont des liens d’amour ce qui le conduit toujours à être ségrégatif et à rejeter à l’extérieur ceux qui ne l’aime pas. Dans la deuxième alternative, le sujet s’expose donc à la pulsion de mort du groupe qui, interdite de s’exprimer en son sein trouvera là l’occasion de s’exprimer à moindre coup, et renforçant du même coup le liens entre ses membres.

Mais en son fond, le fait de s’inscrire dans un groupe implique des renoncements pulsionnels et c’est là le point central, car cela fera que tout membre d’un groupe, aussi bien inscrit soit-il, manifestera toujours une ambiguïté par rapport à celui-ci, mélange d’amour et d’hostilité. C’est ce qui rend tout groupe humain fondamentalement instable et imprévisible.

C’est dans un texte intitulé « Psychologie des foules et analyse du moi » que S. Freud s’intéresse à la structure des groupes en tant que tel et, il en repérera deux modèles. Ceux dont l’autorité est représentée par un humain et ceux dont l’autorité est le fait d’un idéal.

Il dégagera des mécanismes différenciés d’identification dans ces deux types de groupes. Dans le premier type, il repérera que les identifications ne peuvent se faire que sur le mode horizontal soit entre les membres du groupe eux même. Alors que la seconde catégorie de groupe exigera une identification à l’idéal. Dans les deux cas un but identique est visé, celui de gommer les différences entre les membres du groupe, de les égaliser, les identifications étant au service du renoncement pulsionnel.

Freud et à sa suite J. Lacan mettront toutefois l’accent sur un point de fragilité particulier et propre à la première catégorie de groupe. En effet, celui qui incarne l’autorité ne peut prétendre s’égaliser lui avec la force d’un idéal, idéal dont on sait qu’il sert toujours de rempart contre l’angoisse.

De ce point de différence structurelle se décline deux types d’effets différents pour les membres d’un groupe sans pour autant s’exclurent mutuellement, il s’agit plutôt de prévalence.

Dans le premier type de groupe, ceux où l’autorité est incarnée, l’angoisse sera le risque prévalent, alors que dans le second type, là où un idéal est ce qui régit le groupe alors ce sera le sentiment de la faute et la culpabilité qui s’exprimeront de manière plus intense.

Si l’on s’intéresse à ces mécanismes dans les ESMS on retrouvera deux cas extrêmes d’institutions qui correspondent à cette bipartition.

D’une part, les institutions qui s’articulent autour d’une « figure tutélaire » et d’autre part celles dont ce sont les croyances (dans une méthode, dans des idées etc.) qui en donneront les paradigmes.

Dans la majorité des cas les institutions sont à cheval sur ces deux logiques, l’autorité est incarnée mais une culture qui s’articule autour d’un idéal coexiste, on comprendra dés lors la difficulté pour les professionnels qui peuvent être rejeté alternativement entre angoisse et culpabilité.

Acteurs et système :

Il convient de noter en prodrome que des notions comme celles de stress au travail, d’usure professionnelle ou comme il est dit parfois de burning out et les constat qui sont fait, que ce soit en termes quantitatifs ou qualitatifs, sont contemporains d’un changement de paradigme dans le monde du travail.

Ces changements caractérisés par une avancée sans précédent d’une logique d’efficacité emprunte de pragmatisme, soit d’un mode de pensée orienté du côté des résultats du travail, s’accompagnent de la substitution progressive de la logique de la loi à la réduplication infinie des normes.

Si le registre de la loi procède d’une logique soit de la dialectique, les normes quant à elles n’obéissent pas à ce régime.

Nous rappellerons ici succinctement ce qui fait le point vif de cette distinction pourtant essentielle.

La loi se caractérise de délimiter un champs des possibles de par la définition d’interdits qu’elle pose.

En d’autres termes, dans la logique de la loi tout ce qui n’est pas interdit reste possible, c’est d’ailleurs au nom de ces interdits qu’une contestation de la loi est toujours possible au nom de l’argument qu’elle est liberticide. Remarquons toutefois que si elle entrave une liberté totale, par définition elle autorise tout le reste.

Quant est-il de la norme au regard de cette logique ?

La norme elle se propose de shunter, de contourner la logique interdictive. Pour ce faire elle s’inscrit dans une logique prescriptive. De ce fait, elle ne décrit plus une limite en deçà de laquelle les choses sont permises, bien au contraire elle inscrit un impératif unique au-delà et en deçà duquel l’acteur se trouve hors norme.

Prenons un exemple pour bien saisir de quoi il retourne. Alors qu’une loi ou règle vous interdira de rouler à plus de 60 km/h vous laissant un libre arbitre quant à adapter votre vitesse en fonction de multiples paramètres (votre appréciation de la dangerosité, votre aisance personnelle etc. ) en d’autres termes ménageant une place à votre subjectivité, la norme elle imposera une vitesse fixe quelconque. Si elle est fixée à 61 km/h elle fonctionnera tel un impératif catégorique pour reprendre les termes de E. Kant, 62 km/h de même que 60 km/h vous mettront dans le hors norme, faisant saillir son ressort, la norme efface toute place à la subjectivité et toute appréciation subjective.

C’est ce procès logique de la norme que nous voyons prendre corps dans l’ensemble des secteurs professionnels y compris ceux du médical et du médico-social. Il rend compte du caractère désubjectivé de certaines pratiques devenant peu à peu du registre purement technique, mouvement exponentiel, qui évacue au fil du temps toute initiative et toute innovation voire tout savoir faire individuel et subjectif.

La logique de la norme comporte par ailleurs une seconde caractéristique par rapport à celle de le loi. Alors que cette dernière est abrogative, à savoir que la plus récente rend obsolète la précédente lorsqu’elles portent sur le même objet, principe classique de la philosophie du droit. Les normes si elles, sont « pointillistes », elles sont par ailleurs cumulatives. C’est le point qui est clairement identifié actuellement par les spécialistes du droit qui constatent l’augmentation du volume des différents codes (code du travail etc.) et remarquent l’immixtion des normes dans le droit, conduisant à la démultiplication à l’infini de ces dernières quitte à ce qu’elles se contredisent ou produisent des messages paradoxaux.

La clinique nous enseigne que l’un des remparts que l’humain trouve à son angoisse se situe dans son rapport à la loi et à l’interdit qui lui permettent de se situer tout en ménageant sa subjectivité sans laquelle il se réduit à un pur objet.

Si de nos jours, nous voyons surgir de manière aussi paroxystique la question du stress, ou du burning out, nom moderne de l’angoisse des professionnels, peut être devons y voir les effets d’un changement de paradigme dans les conditions d’un exercice professionnel toujours plus exigeant (pragmatique) ainsi que le changement de régime par le passage de la loi à la norme.

Dés lors, quel peut être la définition d’une pratique efficace dans le champ des métiers de l’accompagnement de personnes présentant des difficultés d’ordre divers ?

Cela ne peut passer que par une redéfinition de son rôle et une clarification des tâches à accomplir !

Clarifier et redéfinir les rôles et la dynamique individuelle au regard du projet :

La fonction éducative est comme son nom l’indique une fonction, ou dit en d’autre terme une place qu’un professionnel occupe auprès d’un usager. Or, s’il s’agit d’une place occupée, cela ne signifie pas que celui qui occupe cette place soit cette place.

3 axes de travail éducatifs sont classiquement repérés :

  • L’accompagnement ou médiation entre l’usager et son environnement.
  • L’évaluation qui porte sur l’efficience des dispositifs proposés.
  • L’étayage des personnes

La référence qui est particulièrement sollicitée dans l’élaboration du PP. Dans ce registre, l’éducateur est souvent le lieu d’adresse de phénomènes qui ne lui appartiennent pas mais dont il est le révélateur et à qui ils sont illusoirement adressés. Cela peut se concevoir grâce à un éclairage clinique et aux concepts de transfert et de répétition.

La référence, mobilise chez l’usager une relation privilégiée à l’adresse du professionnel (dans le registre de l’appréciation ou de la dépréciation), dans ces phénomènes résident toujours une part de répétition de ce que l’usager à vécu antérieurement et cela dans le registre du “meilleur comme du pire”. Il y a donc deux types de transfert, le positif et le négatif, soit l’amour et la haine. Si le second n’est pas à favoriser ni à nourrir, il convient toutefois de le prendre en compte pour permettre à l’usager d’élaborer ce qui le déborde. Inversement, un transfert trop positif doit également attirer l’attention car il peut couvrir des problématiques complexes.

Médiation : Il s’agit d’un positionnement professionnel spécifique. Le médian est un terme qui désigne ce qui se situe « entre », qui délimite, sépare et en même temps fait lien entre les éléments séparés.

La médiation est donc un terme qui désigne en son fond une place et non une tâche spécifique mais qui dans le champs de l’éducation spécialisée doit donc être interprété.

Du fait de la place occupée, celui qui a en charge la médiation n’est ni du côté de l’un ou de l’autre, l’une des tâches qui donc se déduit de cette place est qu’il doit veiller à ce que l’un et l’autre puissent co-exister.

Si l’on se réfère au cas d’une structure accueillant des publics en difficultés, la médiation peut à titre d’exemple se caractériser de pouvoir faire entendre à des partis différents les points de vue des uns et des autres. Dans ce cas, le professionnel œuvrant dans le registre de la médiation se trouve convoqué à une tâche de traducteur dont l’écueil toujours présent sera celui de son interprétation et donc de la déformation du message initial et sur lequel il opère.

Une autre difficulté de cette fonction est bien connue des historiens et rejoins celle du messager qui a charge de transmettre la parole traduisant les positions de l’un auprès d’un autre.

Les coutumes traditionnelles dans leur crudité faisaient du messager un être en sursis et dont le sort dépendait du message qu’il véhiculait mais que lui même ignorait. Rasé, le message écrit sur son crâne, à son arrivée il découvrait la nature du message dont il était le véhicule. Que la nouvelle soit bonne et il était remercié, parfois même récompensé ! Que la nouvelle soit mauvaise et sa tête était séparée du reste de son corps !

Bien sûr, aujourd’hui les mœurs ont beaucoup changés, toutefois cette logique n’est-elle pas toujours à l’œuvre dans cette fonction, et n’éclaire-t-elle pas ce que l’on a toujours su, à savoir que l’humain qui se met dans une place d’entre deux peut être pris dans les tenailles de difficultés qui ne sont pas siennes, le transformant à son corps défendant en lieu d’affrontements.

Nous attirerons donc l’attention sur le fait que le rôle de médiateur comporte des risques tout à la fois pour les personnes qui y ont recours et pour les personnes qui occupent cette place.

L’autorité : Ce terme qui qualifie à la fois une place et la qualité d’une personne fait souvent oublier son sens précis. L’autorité désigne le fait d’être « auctor » soit un fondateur, un auteur et par dérivation il est employé dans le sens du pouvoir d’imposer l’obéissance.

La première acception relève des expressions comme « faire autorité » alors que la seconde se range du coté du terme « autoritaire ».

Si l’on s’intéresse de plus près à ces deux lignes sémantiques on note une similarité. Dans les deux cas, l’autorité doit être attestée par quelque chose.

Dans le cas du « faire autorité », c’est de par le fait que la personne occupe une place d’exception, il est un fondateur, un créateur soit une personne qui détient un savoir particulier, propre. La seconde acception, l’autorité tient là encore à une place d’exception mais cela ne tient pas à un savoir qui est propre à la personne mais, à un objet, un statut, un texte, voire des pouvoirs etc. qui lui ont été confiés et lui permettent d’imposer une obéissance en cas de refus.

On comprend dés lors mieux les deux types de « gouvernance » qui peuvent co-exister, celle qui repose sur la persuasion de l’autre lorsque le savoir de l’un est reconnu et celle qui recourt à l’imposition de la décision, deux logiques donc entre lesquelles se situe toute une gamme de panachage et d’amalgame.

Toutefois il est à noter que la ligne sémantique qui réfère l’autorité à la capacité d’imposer une décision implique une conséquence quant à celui qui occupe cette place.

En effet, la possibilité d’imposer une décision ou une position ne peut être tenable que si celui qui opte de (ou qui est obligé de) recourir à ce positionnement, dispose des moyens de sa politique. En d’autre termes, il doit disposer de moyens de rétorsion en cas de refus, moyens qui attestent de son pouvoir (ce dont lea justice dote les juges).

Notons au passage qu’éliminer ces outils qui permettent d’exercer ce pouvoir interdira ipso facto ce positionnement.

Si de prime abord, cette difficulté dans le discours post-moderne tente d’être résolu par des positionnements alternes, la pratique institutionnelle ne manque jamais de faire rejaillir ce point de difficulté dans le travail au quotidien et interroge le qui peux dire quoi et à qui ? Qui représente l’autorité et fixe une limite ? Et de quel moyen dispose-t-il en cas de « transgression » ou de refus ?

Je laisse ici au lecteur le soin d’interroger sa pratique et son positionnement et parfois les impasses dans lesquelles il peut se trouver …

L’altérité : Sur un registre clinique, l’altérité, soit la différence est très certainement la chose à la fois la plus demandée par les sujets et à la fois la plus redoutée. C’est un fait notable que l’être humain et surtout depuis l’avènement de l’ego-psychologie importée des pays anglo-saxon, ne cesse de réclamer son droit à la différence. Or, quelque soit la différence revendiquée, il s’avère également remarquable que cette dite différence revendique le même statut que les autres, et qu’entre eux, ces sujets établissent des codes de toutes sortes, vestimentaires, langagiers, comportementaux qui tendent non plus à faire valoir de la différence mais de l’identique.

Cette dialectique de l’un et du multiple n’est pas nouvelle et a en son temps intéressée toute une veine de la philosophie.

Il faudra attendre la fin du XIX ème siècle et la mise à jour Freudienne des mécanismes d’identification imaginaires et symboliques pour en comprendre les mécanismes et les enjeux propres à chaque sujet (Cf Pour introduire le narcissisme).

Si l’humain demande une reconnaissance de son altérité, il faut accepter ce fait, il ne veut pas non plus être trop différent des autres.

Il perçoit dans la différence absolue un risque qui n’est pas tant social que subjectif. Aller dans le sens d’une différence qui serait absolue le renverrait à son impossibilité de se soutenir seul dans son existence, cela l’obligerait imagine-t-il à être coupé des autres auxquels il inféode son existence. On peut aller jusqu’à dire que les sujet se rendent dépendant des autres pour fuir cette solitude de l’être repérée dans la philosophie Heideggerienne dépendance qui fait d’eux des êtres sociaux.

Mais il y a l’envers de cette dialectique, c’est qu’en même temps l’être humain souhaite être reconnu dans sa différence d’avec les autres, il se singularise, ne veut pas faire, penser, vivre etc … comme les autres.

L’on perçoit ici le conflit dont le sujet est le lieu, désir d’être différent et vouloir être comme l’autre ou en termes clinique, le conflit entre le désir et le vouloir. Le choix socialisant se révèle alors dans son acception clinique, le renoncement au désir, tâche à laquelle toute éducation traditionnelle se voue.

Freud dans « psychologie des foules et analyse du moi » traduira en terme d’affects ce conflit, le sujet aime la société du coté de la sécurité qu’elle lui apporte d’être comme les autres en d’autres termes, il aime son vouloir qui le rassure, mais d’un autre coté il hait la société qui l’oblige à faire taire son désir, ce à quoi il ne peut renoncer sans y risquer sa propre vie.

De là peut se déduire le positionnement du social vis à vis de l’altérité, elle aime le semblable et éprouve une détestation, une méfiance quant à la différence, ce qui était déjà repéré par Platon dans son Banquet.

L’observation et le repérage.

Un principe fondamental doit être retenu dans le cadre des accompagnements en ESMS à savoir, favoriser au maximum l’autonomie des usagers, autonomie qui permettra par voie de conséquence une socialisation de ces derniers.

La communication individuelle et collective

1 – Proposer à l’usager des occasions d’expression diversifiées

Le respect de l’autonomie a pour fondement l’écoute de l’usager. Il est donc recommandé que les structures développent les occasions de disponibilité et d’écoute active envers les requêtes des usagers et de leurs proches.

Cette disponibilité suppose d’avoir ancré chez les professionnels la conviction que quel que soit son éloignement des normes de comportements habituellement en vigueur, quelle que soit la difficulté de compréhension qu’ils peuvent rencontrer, l’usager est et demeure un être qui s’exprime et doit être rencontré en tant que tel. Ceci appelle une grande faculté de compréhension et d’analyse chez les professionnels en contact avec les usagers manifestant des troubles du langage ou des troubles de comportement importants. Il est donc recommandé qu’ils soient formés à cet effet.

Il est recommandé en outre que des possibilités d’expression diversifiées soient offertes aux usagers : temps privilégié d’un échange singulier au moment d’un jeu par exemple, ou échange non verbal à travers la participation à une activité, ou encore communication gestuelle si le langage fait défaut.

2. Créer dans les établissements un environnement propice à la prise de parole individuelle ou collective

Il est préconisé que les établissements aménagent des espaces préservant l’intimité, suscitent des occasions propices à l’échange et d’une manière générale, cultivent une atmosphère favorable à la convivialité. Relèvent notamment de cette démarche le confort des locaux et l’aménagement en petites unités, le souci porté à maintenir une atmosphère calme et un environnement sonore, visuel et olfactif agréable. Des espaces et des lieux privilégiés permettant aux usagers d’échanger plus facilement avec leurs proches sont aussi préconisés.

Pour l’ensemble des structures, la communication collective doit également être encouragée et recueillie grâce à toutes les formes de participation prévues par la loi (conseil de la vie sociale, groupes d’expression, par exemple).

Le projet d’accueil et d’accompagnement défini et évalué

Conformément à la loi 2002-2, un projet d’accueil et d’accompagnement pose les modalités d’accompagnement de l’usager (ou de ses représentants) dans la structure qui l’accueille ou l’accompagne. Inscrire cette obligation (…), c’est en retenir et en promouvoir à la fois la méthode participative et la révision ou l’adaptation régulière.

1 Fixer des objectifs précis dans le cadre du projet personnalisé

Après avoir posé un diagnostic sur la situation de la personne et ses besoins, le projet co-élaboré en partenariat par l’usager (et/ou ses représentants) et la structure qui l’accueille ou l’accompagne, fixe des objectifs précis aux actions des professionnels.

Il est recommandé que, sans chercher à parvenir nécessairement à des écrits complets ou exhaustifs, les professionnels s’attachent surtout à la démarche consistant à personnaliser la prestation le plus possible et s’accordent sur les modalités d’accompagnement qui semblent les plus pertinents et réalistes de part et d’autre. Il est préconisé également que ce projet soit remis à l’usager et accessible à tous les acteurs de la structure en lien avec la personne accueillie.

2 Fixer des modalités de mise en place et de suivi réalistes, respectueuses des capacités et des rythmes de l’usager

Afin d’être suivi et ajusté le mieux possible, donc de se déployer de la manière la plus adaptée selon la situation de l’usager et son évolution, il est recommandé que le projet d’accueil et d’accompagnement de l’usager mentionne explicitement des modalités de mise en place, de suivi et d’évaluation. Ces modalités permettront aux professionnels de s’assurer du bon déroulement du projet d’accueil et d’accompagnement.

Observer les effets positifs et négatifs des actions mises en place en faveur de l’usager et effectuer en conséquence les ajustements nécessaires dans l’accompagnement

Un projet d’accueil et d’accompagnement construit à un moment donné du temps ne peut fixer de manière définitive les modalités d’intervention des professionnels, dans la mesure où la situation de l’usager et ses besoins sont amenés à évoluer. Il est recommandé que toutes les actions mises en place fassent l’objet d’un suivi et d’une observation pour recueillir les impacts positifs ou négatifs que ces mesures induisent dans la vie, la santé et le développement de l’usager.

Il est recommandé également que les observations des professionnels et celles de l’usager, ainsi que celles de son environnement relationnel le cas échéant, aboutissent à une co-évaluation de l’impact des actions mises en place et aux réajustements qui s’avèrent nécessaires pour qu’elles soient les plus respectueuses possibles des intérêts et des choix de l’usager. Une attention particulière est préconisée ici pour prendre en compte les expertises éventuelles posées par d’autres professionnels (notamment ceux qui sont intervenus en amont dans le parcours de l’usager), afin que l’ensemble des expertises sur la situation de l’usager soient le mieux coordonné possible.

Être attentif à la durée et à la continuité du parcours de l’usager

Parce que la sortie de l’usager de la structure qui l’accueille ou l’accompagne n’induit pas que tous ses repères soient retrouvés et que sa situation soit immédiatement stabilisée de manière satisfaisante pour lui, il est recommandé que les professionnels réfléchissent avec lui à toutes les mesures susceptibles de faciliter ce moment de transition. Ce moment étant considéré comme une étape du parcours à part entière, un travail en réseau des professionnels avec d’autres intervenants à l’extérieur est en particulier recommandé, ainsi que des occasions concrètes de suivi et de communication. Ainsi il est important que l’usager puisse retrouver le soutien des professionnels qui l’ont accompagné s’il en éprouve le besoin.

Il est également recommandé que la sortie, préparée et accompagnée par les professionnels, soit réfléchie au regard des bénéfices ou au contraire des dommages qu’une durée de séjour trop courte ou trop longue peut amener dans le parcours de la personne, dans le cadre réglementaire.

p-gautranIl est préconisé qu’un juste équilibre soit donc réfléchi par les professionnels et l’usager en tenant compte tout aussi bien des risques d’institutionnalisation des personnes accueillies trop longtemps, que des risques de rechute ou de précarisation très rapide des usagers dont

L’accompagnement a été trop tôt interrompu. Il est préconisé également que toutes les formes de dispositifs transitoires et intermédiaires entre l’institutionnalisation complète et la sortie définitive soient étudiées et mises à profit pour accroître les chances de l’usager de retrouver une situation satisfaisante et pérenne pour lui après sa sortie de la structure.

Patrick GAUTRAN, Psychanalyste & Consultant


BIBLIOGRAPHIE.

  • Freud. S : Abrégé de psychanalyse.
  • Psychologie des foules et analyse du moi
  • Totem et tabou
  • L’avenir d’une illusion
  • J.C. Milner : Voulez-vous être évalué ?
  • Clartés du tout.
  • Revue Cités, philosophie, politique, histoire, Numéro 16 (2003)
  • Matthew. B. Crawford : Eloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail.
  • Crozier : L’acteur et le système.
  • Jacques Danancier :
  • Le projet individualisé dans l’accompagnement éducatif
  • Analyser et faire évoluer les pratiques éducatives
  • ANESM : (téléchargeable)
  • Synthèses des recommandations de bonnes pratiques professionnelles.
  • Les attentes de la personne et le projet personnalisé.
  • La bientraitance : définition et repères pour la mise en œuvre.

Diriger, Soigner, Eduquer


patrick gautran

psychanalyste, psychothérapeute, formateur, consultant