Skip to main content
Lille, Paris, Strasbourg, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Rennes…
Plus de 460 Professionnels au service des Equipes

Recherchez dans les articles

Malentendu dans l’institution : Une analyse de la pratique peut-elle agir sur la question de l’alliance ?

Analyse des pratiques institution

Que nous parlions d’institution au pluriel ou au singulier, de l’Un s’y fait entendre. Voilà un signifiant qui nous parle de l’ordonnancement d’une société, les institutions de la République par exemple. Des administrations, des établissements divers, dont l’allocations de ressources, ne relève pas des lois du marché, émargent sous ce rôle d’institution. De très loin, l’homme oscille entre la sécurité d’une économie administrée, planifiée parfois jusqu’à l’irrespirable, et celle plus pimpante, aguicheuse, des marchés, dont les vertus addictives sont attestées. La question de l’institution suggère une forme d’intemporalité qui articule un lieu susceptible d’être situé en surplomb, voire au commencement de l’agitation séculière : dimension du sacré, du temple, dont la racine « temnein », signifie couper. Si de l’Un se fait entendre dans l’institution, son fondement n’est pourtant que trou, n’est que coupure.

L’institution présente-t-elle une stabilité dans les désordres de la culture, y compris quand ses représentations sont bousculées, incendiées ? La nouvelle économie psychique, n’est pas incendiaire, il semble qu’elle s’établisse d’une désaffection de l’Autre, et par là, s‘affranchit sans le vouloir de la loi symbolique attachée jusqu’ici au Nom-du-Père. Le père pourtant reste une question brulante, puisque cette désaffection cohabite avec une dénonciation infinie de l’ordre pourtant finit du patriarcat. Son déclin n’est pas d’hier, il a  commencé lors la confrontation qui opposa Galilée à l’église catholique ; elle ne portait pas sur la question de l’héliocentrisme copernicien, mais sur la thèse de l’existence d’un seul espace, soumis à des lois physiques universelles susceptibles de contredire l’observation aristotélicienne. Galilée a initié une rupture inédite entre les connaissances communes et les connaissances scientifiques qui, pas à pas, vont évider le lieu où se tient le détenteur des vérités dernières. Depuis, Jean-Paul II a adressé les excuses de l’église à Galilée, il a fait ce geste avec d’autant plus de facilité que les théories de l’évolution ne sont pas venues à bout du créationnisme. Le caractère infini de la dénonciation du père, relèverait-t-il de l’impossible inscription de la culture dans les seules lois de la physique ?

Pourquoi parler d’institution à propos des groupes d’analyse de la pratique ?

Tout simplement parce que cette question, dans les groupes que je conduis, pointe immanquablement le bout de son nez. Lors des premières séances, ce qui est amené, ce sont les « problèmes institutionnels », et ces problèmes institutionnels, sont abordés sous un angle qui se répète : celui d’une dénonciation qui présente la faculté de faire communauté. Il y a la mise en place d’un dedans qui est situé en dehors de l’institution, un « nous » qui ménage un autre côté, celui d’une institution rabattue sur le « eux » de la hiérarchie. Une hiérarchie parfois imprécise, néanmoins située en haut, au-dessus, et identifiée comme la source du désordre – Le désordre vient d’un lieu qui dans notre tradition est garant d’un ordre. Ceux qui travaillent dans une institution, ont certainement noté le succès des instances. Voilà qu’une demande pressante, “une réprimande”, réclamant une application assidue, une « Un qui tance », est venue donner un caractère, je dirais martial à ce qui n’était que de modestes réunions : Un recours à des instances multiples qui marche d’un même pas que la dénonciation de ce « là-haut » d’où émanerait un désordre du commandement, vécu par les exécutants comme une disqualification, disqualification qui étrangement s’adosse à une demande lancinante de reconnaissance à l’égard d’un « Un » qui présenterait cette originalité de n’imposer aucune contrainte symbolique au moi, mais pourquoi pas des contrainte réelles à l’autre, au semblable.

Curieusement, lorsque je rencontre les responsables à l’initiative de ces groupes d’analyse de la pratique, ils insistent pour que : « ces groupes ne soit pas un lieu pour parler des problèmes institutionnels ». Un « on ne parle que de ça » d’un côté, et un « il ne faut pas en parler » de l’autre. Il ne faut pas croire que ceux qui par leur fonction, sont légitimes à se réclamer d’une autorité, de S1 en termes lacaniens, soient épargnés par ces affects de disqualification, et de manque de reconnaissance. Cela donne une texture versatile au commandement, une frilosité éventuellement doublée d’une certaine véhémence. De part et d’autre, chacun parle comme si, ce qui serait « autre » à sa position, relèverait d’une hétérogénéité éventuellement suspecte.

Toujours selon mon expérience, au rythme des séances, cela peut prendre du temps, une oscillation s’installe, elle prend appuis sur la répétition des situations qui sont présentées ; la lecture, les questions, les associations qu’elles suscitent, produisent des effets de division intrasubjective, qui contaminent le niveau intersubjectif, le niveau du groupe ; le texte communautaire se défait alors dans les détours de la pratique et quelque chose chute du clivage initial que j’ai décrit. Mais il s’agit d’une oscillation et la « communauté dénonciatrice » peut se rétablir dans la dénonciation de l’Autre. Dans le séminaire « Une enquête chez Lacan » (1987), C. Melman souligne que le parlêtre rencontre dans son existence des moments où il oscille sur cette question du dedans et du dehors, qu’il peut vivre dans une configuration moebienne ou clivée (il en parle pour le sujet adolescent, pour le sujet émigré). Toujours dans ce séminaire, il interroge si la paranoïa ne devient pas une norme sociale ; une norme où le lien social s’établit d’une séparation rigoureuse du dedans et du dehors. Il précise qu’un ordre moral de ce type, ne peut faire apparaitre la différence des sexes que comme un abus, que comme illicite, puisque celle-ci promeut une jouissance moebienne dans laquelle rien du politique ne peut intéresser, puisqu’ici dedans et dehors se valent ; et que rien ne vient freiner le passage d’un bord à l’autre. Alors qu’est-ce qui qui vient faire butée ? : Lévi-Strauss ne trouverai rien à redire à la position de Melman : « c’est une femme, qui par son altérité vient faire butée », S2 en s’offrant à la jouissance de S1, vient faire butée. Cette butée, Lévi-Strauss, Gaudelier à sa suite, l’interprètent comme le fondement des structures élémentaires de la parenté et des trois régimes qui s’y instituent : celui de l’interdiction, celui de l’autorisation et celui de l’obligation. Un ordre qui dans la culture, dans les cultures, est interprété de longue date comme un ordre hétéronormé, qui lie la castration à la jouissance sexuelle.

Les difficultés actuelles dans l’action collective sont-elles inédites ?

Peut-être, cela ne signifie pas qu’avant c’était plus facile. Je dirais que quelque chose oscille au niveau de la conflictualité, où dans notre modernité, la différence des places peut faire outrage, avec cette recherche harassante de consensus. La brutalité du coup de sang ; la franche engueulade sont aisément interprétées comme une violence occasionnant des blessures comme on dit personnelles, des blessures qui ne passent pas et qui tracent pourquoi pas le sillon d’une défiance figeant la possibilité de se parler. Le succès des protocoles tient-il dans leur faculté de cautériser imaginairement la conflictualité ? Ils offrent la possibilité d’évincer les manifestations du désir dans l’exercice professionnel au profit d’un fonctionnement mécanique, un fonctionnement qui se passe d’une énonciation de maître… que des esclaves en somme. Un succès mitigé, puisque les protocoles se heurtent à la contrainte du langage, à la nécessité pour un sujet de rétablir son domicile, celui de sa division intrasubjective aussi bien que sexuée. Il semble néanmoins que cette exigence intrasubjective, puisse susciter des effets intersubjectifs de communauté, en donnant un privilège à cette morale clivée que je viens d’évoquer.

Ce qui caractérisait les institutions d’hier, reposait me semble-t-il sur la reconnaissance par les protagonistes, quelques soient les animosités en présence, d’un lieu d’adresse, susceptible de transcender les conflits, terme que je prends ici au sens le plus strict « de passer à autre chose », « d’enfreindre le face à face avec le semblable », un trois fois rien qui préserve du harcèlement par exemple. Un lieu qu’il n’y a pas à confondre avec une figure titulaire, héritage de nos identifications infantiles.

Une société de défiance est gourmande en anxiolytiques. Il en existe un autre peu couteux pour l’assurance maladie, qui est d’une grande efficacité. Bizarrement son principe actif exige qu’on ne lui prête aucune attention ; dès lors qu’un signe, une preuve de son efficience est requise, la confiance se périme aussitôt. « Il faut créer une relation de confiance », cette expression nous indique la nature de ce médicament, il est créationniste, voilà un médicament que les biotech ne fabriqueront pas ; il relève de la foi. Ce médicament n’est d’ailleurs pas sans danger, puisqu’à haute dose, il peut avoir une action sédative importante, Freud l’a identifié comme le transfert généralisé de la religion. Fréquemment la naissance d’un enfant est une bonne nouvelle ; et bien nous pouvons être attentif à ce que cette bonne nouvelle puisse aisément accoucher d’une bonne parole. La foi, y compris dans les religions privées, peut faire appuis à un catéchisme qui chante les louanges du transfert. Si la psychanalyse n’est pas un catéchisme, c’est parce qu’elle vise un terme possible au transfert. A défaut elle ne se différencierait pas de n’importe quelle dévotion. Un terme au transfert qui n’interdit nullement l’établissement d’une alliance.

L’alliance : du nouage et de la coupure

En français « alliance » privilégie la seule signification de lier, de réunir. Ce n’est pas le cas en hébreux où « Beriyth » signifie à la fois l’union et la coupure, aussi bien pour l’union charnelle hétéro, que pour la relation entre Dieu et Israël, ou si nous sommes mathématiciens, entre le fini et l’infini, entre le continu et le discret. La racine d’instituer est « Sta » : se tenir debout qui a donné en grec : « Stauros », un pieu (un lit, en argot), qui désigne aussi le premier trait vertical, celui qui fonde la construction humaine. Une séparation s’y trace entre le sacré et le profane, qui se prolonge dans une suite infinie d’opposés complémentaires : homme-femme, adulte enfant ; haut-bas, qui ne peuvent se faire valoir qu’en référence, non pas à leur opposé mais à leur envers, qui relève de la même trame que l’endroit.

La culture s’établit d’une transcendance susceptible de nous faire confondre la question du lieu et de l’instance. D’abord multiples et hétérogènes, les dieux immortels et capricieux du polythéisme n’hésitaient pas à s’immiscer dans les affaires des hommes. Chaque mortel en quelque sorte, faisait alliance avec son dieu Lare. Puis ces dieux picaresques ont été écartés au profit du dieu éternel du monothéisme, qui inscrit la transcendance dans l’ordre d’une hétéronomie à l’ambition universelle.

Pourquoi J. Lacan a-t-il fait du christianisme la vraie religion, M. Gauchet, la religion de la sortie de la religion ? Les autres religions du Livre forgent une continuité entre le croyant et cette instance qui siège dans ce lieu de l’Autre, c’est en maintenant une distance suffisante à l’égard du « Un », pourquoi pas, avec le recours à des rituels, que le sujet n’est pas « tout phallique », rude tâche, puisque si la distance vient à manquer, et les rites peuvent aussi bien encourager ce rapprochement, le croyant peut se trouver happé dans l’intégrisme avec le type de sacrifice ultime que celui-ci exige. Si le christianisme est la religion de sortie de la religion, il le doit aux cogitations des théologiens sur la Trinité. C’est le point de discorde avec les églises évangélistes qui considèrent cette articulation du 3 et du 1 comme une hérésie. Avec la Trinité, si S1 et S2 se fondent d’un même coup, ils ne sont plus dans une relation de distance, mais de coupure, ils ne situent pas dans le même espace.

De l’hétérotopie et de ses interprétations

Pourquoi dieu se fait-il législateur ? Est-ce pour donner un sens, une consolation à l’insatisfaction constitutive du monde humain où le mot tue la chose. La physiologie du signifiant fait qu’il rate la saisie de l’objet perdu, c’est déjà embêtant, mais pire, la seule existence possible de cet objet relève de cette tentative de saisie. C’est depuis toujours que S1 est au commencement, qu’il occupe la place de la maîtrise, mais puisque ça ne peut que rater, cette place de maîtrise n’est que de semblant. Du coup ce S1, comment se maintien-t-il à cette place ? Il a besoin de la reconnaissance de ce qui l’entame, la position de S1 est tributaire de la reconnaissance que S2 lui accorde en lui contestant son ambition totalisante. Et S2 n’a pas beaucoup de latitude à cet égard, puisque à défaut de cette reconnaissance il s’abolirait en tant que S2. Et si S1 par exemple refuse ce statut de semblant qui le fonde, s’il refuse d’être le maître d’un esclave qui en s’offrant à sa jouissance, règne sur lui, il ne peut alors qu’emprunter le chemin de la tyrannie.

Si l’hétéronomie a donné asile à la dialectique entre S1 et S2, elle l’a fait en dissimulant ce qu’il en est de l’hétérotopie qui les articule. Je ne sais pas si c’est Lacan qui a piqué le terme à Foucault, ou le contraire, je ne sais pas qui le premier…. L’hétérotopie entre S1 et S2 signale leur complémentarité, alors même qu’ils ne peuvent se rencontrer, puisqu’ils ne sont pas dans le même lieu, c’est le fameux non-rapport sexuel de Lacan qui fait échos à cette autre formule « l’inconscient c’est le social ». S1 et S2 ne se rencontrent jamais, bien que, selon les termes de l’alliance, ces deux lieux, d’êtres générés par la même frappe symbolique, le même trou, se trouvent irrémédiablement tributaires l’un de l’autre.

En 2007, Irène Théry a écrit un bouquin qui a eu un grand retentissement : « La distinction de sexe », elle a écrit sexe au singulier et elle n’a pas utilisé le terme de « différence » mais celui de « distinction », qui est une pure séparation. La différence est plus complexe, puisqu’elle articule deux styles, la virilité et la féminité, à une seule dignité phallique. La différence n’est pas un simple mouvement de séparation, c’est aussi un tourment, un tiraillement, avec un premier temps, de « dispersion » et un second plus énigmatique « de remettre », plus énigmatique puisque remettre, vaut aussi bien comme abandon, relâchement, rétablissement, ou encore comme transmission et cession. L’un des premiers emplois du verbe mettre, consistait à « faire passer d’un lieu à un autre ». Irène Théry avec beaucoup de finesse tente d’extraire l’alliance entre S1 et S2 de l’emprise hétéronome, mais elle se trouve dans l’obligation de la réarticuler en hétérogénéité des places, c’est-à-dire à-dire de les séparer en leur attribuant une cause distincte. Dans Les « Flâneries …[1] » C. Melman et J-L. Cacciali, posent la question du polythéisme, que C. Melman déplace en termes de multiculturalisme. Je dirais que le multiculturalisme, avant d’être une conséquence migratoire relève d’une interprétation hétérogène de l’hétérotopie de S1 et de S2, interprétation qui peut nous faire vaciller et nous faire aisément interpréter la question du dedans et du dehors de façon clivée.

Philippe CandiagoDans le journal Le Monde, daté du 28 octobre dernier, Camille Froidevaux-Metterie, pour mettre fin à la guerre des sexes, évoquait l’avènement d’une « être humaine », une « être humaine » qui nouerai un dialogue enfin égal et apaisé, avec l’être humain. Une distinction de sexes, avec des relations de voisinage, entre deux groupes hétérogènes, chacun disposant de sa cause spécifique, hommes et femmes se fondant d’une genèse distincte. Interprétation qui peut donner un privilège à une interprétation intersubjective de notre division intrasubjective, apte à relancer la passion dans le politique.

Si le discours psychanalytique n’est pas une dévotion, il ne remet pas en cause l’hétérotopie qui institue d’un seul coup, S1 et S2 dans des lieux différents. Ce que permet le discours psychanalytique, consiste à considérer avec plus de légèreté l’institution de l’alliance, c’est-à-dire de ne pas perpétuer une défense contre la castration qui se manifeste dans l’interprétation hétéronome ou hétérogène. Cela peut être un des effets d’une cure, de considérer avec légèreté l’institution de ces deux places, de ne pas interpréter  l’hétérotopie topologique entre S1 et S2, d’une façon monothéiste ou multiculturelle, cela peut-il être un enjeu pour une analyse de la pratique ?

Philippe CandiagoPsychanalyste, Intervenant en analyse de la pratique – Septembre 2022


[1] C. Melman, J-L. Cacciali (2022), Flâneries avec Lacan dans l’atmosphère polluée des esprits et de la ville, Editions Langage, Paris.


Crédit Photo : Reimund Bertrams de Pixabay

hétéronomie, hétérogénéité, hétérotopie, Psychanalyse, Institution, Alliance