Skip to main content
Lille, Paris, Strasbourg, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Rennes…
Plus de 500 Professionnels au service des Equipes

Recherchez dans les articles

La capacité de rêverie du superviseur ou “la fonction” qui donne à penser aux équipes

De superviseur à gourou il n’y a pas beaucoup d’espace pour tomber dans un piège qui serait celui « du tout puissant » qui ne donne pas à penser mais qui fait penser. 

L’espace de supervision ou d’analyse des pratiques ou de régulation d’équipe peut devenir ce lieu où s’élaborent les pensées de l’équipe et aussi des sujets qui la constituent. Le superviseur doit faciliter la création de ce lieu symbolique où les pensées peuvent advenir, s’élaborer, se nouer, se lier, se nourrir des autres pensées. Il permet à une équipe d’étayer ses projections sur lui comme “objet auxiliaire” qui transforme dans la mesure du possible le matériel projeté en pensées introjectables. C’est-à-dire en pensées auxquelles les membres de l’équipe peuvent s’identifier et avec lesquelles ils vont travailler. C’est un exercice délicat qui demande au superviseur de penser (non seulement avec ses propres pensées) sur un sujet donné mais de se servir d’un outil théorique pour donner du corps et du sens à sa pratique. C’est dans ce contexte que la capacité de rêverie de Bion l’aide à se comporter comme “une mère auxiliaire “ qui “rêve”. La théorie est le support qui évite l’aliénation du cadre. Dans ce cas précis nous aurions un superviseur qui se transformerait en gourou et une équipe qui serait infantilisée. Nous allons voir en suivant cette capacité de rêverie de la mère que je propose de transposer au superviseur comme support de travail. Elle participe à donner à penser et non pas pour faire penser. La différence entre les deux assertions est subtile mais d’une grande importance. Dans le “faire penser”(action passive de l’autre) vous lui demandez de penser vos pensées et dans le “donner à penser” vous transformez les pensées de l’autre afin qu’il puisse les élaborer d’avantage et ainsi il peut les transformer. Nous pouvons le dire autrement, dans le premier item vous infantilisez la personne et dans le deuxième vous permettez au sujet d’advenir en respectant sa subjectivité.

La rêverie ou la capacité de rêverie a été étudiée par W.R. Bion psychiatre et psychanalyste britannique notamment dans ses ouvrages « Aux sources de l’expérience » et « Éléments de la psychanalyse ». Cette capacité de rêverie, Bion l’attribue à la mère qui va ainsi jouer le rôle de « fonction alpha » pour aider son nourrisson à transformer ses éléments psychiques bruts qu’il nomme éléments bêta.

En effet, il postule que le nourrisson « produit » des éléments ou des contenus psychiques à l’état brut qui sont adressés à son « objet d’étayage », sa mère, afin que celle-ci y réponde. La mère va traduire avec son appareil à penser, sa capacité de rêverie « la fonction alpha ». Elle va transformer les éléments bêta pour les restituer sous la forme d’éléments alpha.  Nous pourrions dire qu’elle va rendre l’impensable en pensable, qu’elle va prêter son appareil à penser à son nourrisson pour que celui-ci apprenne à penser avec les pensées de sa mère.

Prenons un exemple : Le nourrisson pleure et manifeste une tension psychomotrice, la mère s’approche de lui et va « interpréter » ce que son enfant vit. C’est-à-dire qu’avec des mots elle donne une polysémie à des comportements multiples. Ces interprétations vont être suivies d’actes comme lui donner à manger, le câliner, le changer, etc. Donc, il ne s’agit pas seulement pour la mère d’aider son enfant à apprendre à penser mais aussi de contenir l’afflux pulsionnel qui génère des angoisses envahissantes et qui peuvent sonner le glas de l’anéantissement. Son rôle est contenant, il rassemble un nourrisson prêt à éclater, ce qui procure l’abaissement des tensions avec les actes qui sont posés par la mère mais aussi avec ses paroles qui délimitent, structurent, apaisent, etc.

Quels liens avec une supervision, une analyse des pratiques et une régulation d’équipe ?

Rappelons que ce travail de groupe naît du désir de progresser, de comprendre, d’évoluer. Mais il est aussi vu comme un garde-fou, un rempart contre la folie de se perdre. La perte n’est-elle pas la dispersion, les voies sans issues, les identités professionnelles confondues et confuses, qui peuvent produire l’éclatement des équipes, la dissolution des individus, la désubjectivation du professionnel ?

Ce travail avec une équipe répond à une ou des demandes mais nous savons pertinemment que chaque demande sous-entend des demandes implicites à chemin entre le conscient et l’inconscient c’est-à-dire dans le préconscient. Pour autant au départ se pose la question de la rencontre, du contrat qui établit le cadre. Dans ce contrat figure non seulement la durée des séances mais aussi le type d’intervention selon les sensibilités du superviseur. Il n’existe pas une seule façon d’être superviseur cela va de soi, c’est un point important qui permet une pluralité des prises en charge et qui répond aussi à la richesse des différences humaines. Cela me semble nécessaire et vital pour ne pas tomber dans le piège de la pensée unique.

Imaginons une mère qui répondrait de la même façon à tous ses enfants. Ne serait-elle pas dans le déni de la subjectivité de chacun de ses enfants ? Ce qui reviendrait à élever le même enfant à chaque fois en déniant la singularité de chacun. Une mère dans une compulsion de répétition sans fin qui aliène les êtres qu’elle tente d’élever. Il en serait de même pour un superviseur qui aborderait les différentes équipes avec lesquelles il travaille avec des « recettes toutes prêtes ». Il ne pourrait se produire qu’une aliénation dans une telle répétition compulsive d’une pensée qui se vendrait comme une « réponse à tout ». Nous le voyons dans ces sociétés qui gèrent tout le monde de la même façon. Des managers qui appliquent une « recette de réussite » où le sujet est empêché dans ses capacités de penser.

Le superviseur a donc beaucoup à jouer dans un tel travail en participant à l’élaboration de la pensée. C’est-à-dire qu’il va devoir accepter de se perdre avec l’équipe, d’accueillir les éléments bêta qui lui seront adressés. Pour être un peu plus explicite l’équipe va projeter sur lui son mal être, ses souffrances, ses difficultés et cela de façon totalement inconsciente la plupart du temps et elle va en attendre un retour. C’est ce que l’on appelle l’identification projective. Elle va projeter des éléments bêta pour que le superviseur renvoie tout cela transformé en éléments alpha afin que l’équipe puisse l’introjecter. Cela revient à dire, elle va projeter ses voies sans issues afin que le superviseur les rende praticables ou comme nous l’avons dit au début de cet écrit rende l’impensable en pensable. Mais si nous superviseurs, nous nous attelons à ce travail nous risquons de nous mettre en position de « tout puissant » car comme le nourrisson semble le penser « sa mère ou son environnement maternant sait tout ». Donc, si nous sommes amenés à donner des solutions toutes pensées, toutes prêtes à l’emploi, ne risquons-nous pas d’infantiliser les membres de l’équipe ? Car en agissant ainsi nous sommes cette mère toute puissante qui ne laisse aucune autre possibilité que celle qu’elle offre.

Nous ne devons pas oublier que chaque sujet de l’équipe transfère sur nous et cela nous devons toujours le garder à l’esprit. Considérer l’équipe, le groupe, comme une entité ou comme un être unique serait un non-sens tout comme la ou le penser comme une somme d’individus. Il existe un inconscient du groupe qui n’est pas non plus à négliger. Même si la tentation est grande de le faire, le risque de dissoudre le sujet et de le désubjectiver est immense. Nous devons avoir à l’esprit que certaines sources de conflits dans les équipes sont en lien avec ces tentatives inconscientes et parfois conscientes du groupe de diluer le sujet et sa singularité en son sein. Pour rappel, la façon dont un sujet transfère sur nous n’est pas lié au hasard. Le transfert est un processus inconscient que l’autre vous adresse mais tout en n’ayant pas conscience de celui-ci et dont la teneur et les enjeux sont adressés à des imagos parentales. Ce que nous devrions toujours avoir en tête car cela nous aiderait à bien cerner la demande qui nous est adressée. Il émane une demande du groupe par le biais de l’un de ses individus qui va imprégner cette demande de ses propres demandes conscientes ou inconscientes. L’écoute et l’attention du superviseur doivent être en éveil constant afin d’écouter et d’entendre ce qui lui est demandé.

Nous l’avons vu dans l’introduction, la capacité de rêverie est une dynamique de l’appareil à penser comme si la mère se mettait à rêver à la place de son nourrisson. Cette rêverie est adossée à une capacité et c’est dans ce mot là que je verrai le lien le plus fort qui puisse exister avec l’attitude du superviseur. J’insiste sur le mot « attitude » que je différence de posture même s’ils sont synonymes dans le dictionnaire. La posture est un rôle que l’on joue mais qui découle à mon sens de ce que l’autre attend (de ses représentations) de nous. Nous pouvons le comparer à un cliché comme celui du psychanalyste derrière son divan qui se tait et qui tient dans ses mains un carnet de notes qu’il remplit à son gré. Alors qu’il est très rare de rencontrer de tels psychanalystes. L’attitude serait une réponse à une situation donné, elle ne répondrait pas à un cliché. Ainsi celle-ci est utilisé comme un outil de travail. C’est-à-dire que tout superviseur devrait avoir cette capacité de rêverie. En effet, car celle-ci est polysémique ce qui amène à la réflexion ou met en branle toute pensée préétablie la renvoyant à repasser par l’appareil à penser afin d’être retraitée donc subir une nouvelle élaboration.

Voici l’un des outils que le superviseur peut (doit) mettre au service des équipes. Penser est un acte difficile et pourtant c’est lui qui permet les transformations nécessaires de notre appareil à penser. Cependant, nous ne devons pas oublier combien la route a été longue pour le nourrisson d’accéder aux pensées de sa mère et de se servir de son appareil à penser pour penser lui-même. C’est un processus long et qui n’a été possible que parce que d’une part il a un encéphale qui s’est développé sainement et d’autre part parce qu’il avait cette mère « suffisamment bonne » selon Winnicott ou comme le dirait W.R.Bion en capacité de rêver. C’est un paramètre que nous devons prendre en compte lors des séances de supervision. C’est-à-dire que le sujet qui nous adresse une demande peut être entravé ou carencé dans ses capacités à penser. Nous devons alors considérer les angoisses que cela peut susciter chez ce sujet et jouer un rôle de pare-excitation. Nous serions alors comme cette mère avec ses paroles : « contenante ». C’est-à-dire que nous inviterions le sujet à élaborer sa pensée en sécurité car par notre présence, nos paroles, notre polysémie (tous les sens que nous donnons avec nos interprétations, nos questionnements) nous l’accompagnons dans son cheminement. Nous lui prêtons notre appareil à penser (momentanément) pour qu’il puisse penser à son tour. Tout cela pour préserver sa singularité et sa subjectivité au sein du groupe (de l’équipe).

***

Le superviseur ne déroge nullement à sa qualité d’humain et donc d’être limité dans ses capacités. Il a (et son expérience l’a sûrement aidé) renoncé à sa « toute puissance ». Il sait que toute demande est à élaborer et qu’une écoute de l’équipe réalisée au sens littéral du terme est une écoute à moitié faîte. Sa capacité (de rêverie) de répondre aux demandes devrait être largement utilisée, invitant les équipes à la réflexion en prêtant son appareil à penser afin que l’équipe se pense par elle-même dans les limites qui sont imposées par la subjectivité des individus. C’est un point important à ne jamais négliger car tout oubli du sujet amènerait une réponse défensive de celui-ci dont l’une des manifestations les plus classiques est l’agressivité qui doit être accueilli comme toute production psychique qui s’offre lors d’une séance et elle ne peut faire l’objet d’un dénigrement de la personne qui la manifeste.

Un autre point important est d’éviter de penser à la place de l’équipe cela rejoint l’infantilisation du sujet. Se penser est une source d’autonomie et toute évolution dans notre pensée nous l’acceptons plus simplement si elle provient de nous, même si élaborer les pensées est un travail dur et non dénué de souffrance.

Nous devons garder en mémoire l’importance d’accompagner celui qui parle et qui tente de penser. N’oublions pas que dans sa propre histoire c’est peut-être un sujet qui a eu des carences affectives et celles-ci vont transparaître dans son discours ou son récit. Ce qui peut provoquer un stress ou des angoisses très importantes chez lui d’où la nécessité d’accompagner verbalement et physiquement (comme soutenir le regard), créer une enveloppe (une deuxième peau) avec des mots qui induisent ainsi un climat de sécurité où le sujet peut advenir sans avoir peur de se dissoudre ou de se désintégrer.

Le superviseur met à disposition sa capacité de rêverie pour l’équipe, pour lui donner matière à penser mais aussi pour éviter que les parts mortifères, l’agressivité, la haine des individus ne viennent détruire l’équipe mais surtout se transformer en agir, avec des passages à l’acte dans la réalité.

R-PERINETTINous devons être attentifs, la capacité de rêverie n’est pas le rêve qui se produit lorsque nous dormons. Ce n’est pas non plus un rêve éveillé où nous nous mettrions tous à rêvasser chacun dans notre coin pour nous raconter des histoires à nous-mêmes qui nous enchantent et qui nous apaisent. Non, c’est un travail de la pensée, actif, qui met en action l’énergie psychique (libido) où le superviseur endosse une part maternelle pour sécuriser, pour rassurer, pour contenir, pour accompagner tout en donnant matière à penser et « non pas ce qu’il faudrait penser ». Cela suppose aussi que le temps pour penser ne peut être restreint, c’est-à-dire que l’élaboration pourra surgir dans une autre séance ou bien ne surgira pas ou qu’après plusieurs mois ou années de supervisions. Mais parfois, elle surgira lorsque le sujet qui en était le détenteur s’en saisit pour faire un travail individuel en dehors du cadre de la supervision.

Le superviseur doit aussi avoir ses propres garde-fous.

Ne serait-il pas fallacieux voir même une position d’imposture de penser le superviseur comme un être tout puissant, garant de tout (si le superviseur endosse ce costume bien étroit) ?

Rodrigo PERINETTI – Psychanalyste, Superviseur, Analyse des Pratiques et Régulation d’équipes


Photo @Kirill Pershin

supervision analyse des pratiques régulation d'équipe élaborer les pensées penser