Peut-on encore faire vivre un groupe d’analyse de la pratique dans un secteur en crise ?

Existe-t-il des conditions essentielles à respecter pour instaurer et maintenir un groupe d’analyse des pratiques ?
Ma réponse, fondée sur six années d’expérience auprès de 30 groupes au sein de huit associations du secteur médico-social, est claire : oui.
Certains fondamentaux doivent impérativement être réunis. Il est illusoire de penser qu’un groupe d’analyse de la pratique peut fonctionner si les bases mêmes de l’exercice professionnel sont absentes, méconnues ou constamment sapées par des injonctions paradoxales.
Une impuissance structurelle devenue norme
Ces dernières années, les appels d’offres ont profondément transformé le paysage sanitaire et social. Les structures retenues sont souvent celles qui réussissent à fonctionner avec le moins de moyens possibles, tout en répondant aux exigences des financeurs. Résultat : des équipes en sous-effectif chronique, une surcharge constante, et un quotidien professionnel sans respiration.
Dans ces conditions, les projets de service sont élaborés à la hâte, sans véritable concertation avec les équipes. Les décisions viennent d’en haut, souvent coupées des réalités du terrain. Progressivement, les professionnels perdent le sens de leur engagement, épuisés, désorientés, privés de relais ou d’interlocuteurs. Le travail social devient solitaire, morcelé, précaire.
Le groupe d’analyse de la pratique comme chambre d’écho du désarroi
Dans ce contexte, le groupe d’analyse de la pratique devient le lieu où cette impuissance généralisée – parfois même intériorisée – se donne à voir. On y retrouve des professionnels désabusés, qui ne croient plus à leur marge d’action, qui n’espèrent plus grand-chose, et qui n’ont plus les conditions minimales pour exercer.
À cela s’ajoutent les réalités de terrain : un public en grande souffrance (précarité, violence, isolement, pathologies complexes), des partenariats déficients, inexistants ou non formalisés, et une hiérarchie absorbée par une inflation de réunions administratives, souvent absente du terrain.
Beaucoup de professionnels ne savent plus jusqu’où ils peuvent aller. Ils ignorent leurs marges de manœuvre, ne savent pas s’ils ont le droit d’innover, de coopérer, de créer. Livrés à eux-mêmes, ils se retrouvent parfois investis de responsabilités qui dépassent leur cadre de mission, sans reconnaissance, ni appui.
Quand l’analyse devient constat, et le constat, vertige
Dès lors, que peut devenir un groupe d’analyse de la pratique dans un tel contexte ?
Un lieu où l’on prend la mesure de l’absurde. Un miroir grossissant du non-sens. Un espace où les frustrations individuelles, trop longtemps contenues, explosent au collectif.
Et parfois, cela crée un climat lourd, pesant, que l’animateur ne peut ni porter seul, ni résoudre.
Faut-il alors endosser un rôle militant ? Dénoncer les défaillances institutionnelles ? S’adresser à l’inspection du travail, aux représentants du personnel ?
Ce n’est pas la mission du groupe d’analyse de la pratique.
Faut-il au contraire se réfugier dans un discours d’espoir un peu creux ? Écouter, accueillir, constater… et puis repartir comme si de rien n’était ? Ce n’est pas satisfaisant non plus.
Le courage de poser les limites du possible
Après réflexion, je suis arrivée à cette conclusion :
Un groupe d’analyse de la pratique ne peut fonctionner sans un socle minimal de conditions d’exercice professionnel.
Sans un minimum de stabilité, de reconnaissance, de sécurité, d’espace d’action, le groupe ne peut qu’exprimer la douleur d’un métier empêché.
Et cela, l’animateur doit avoir le courage de le nommer. Sans dramatiser, sans fuir, mais avec clarté et lucidité.
Conclusion : faire émerger une parole juste dans un cadre possible
L’analyse de la pratique reste un formidable outil d’élucidation, de prise de recul, de régulation des tensions. Mais elle ne peut être une rustine sur un système qui s’effondre.
Elle peut éclairer, donner du sens, retisser des liens. À condition que les professionnels aient encore un minimum de prises sur leur réalité. Sinon, elle devient un espace de trop. Et personne ne mérite cela – ni les équipes, ni l’animateur.
Marie-Christine CARAYOL – Analyse des Pratiques Professionnelles – Strasbourg
Crédit photo: Nataliya Vaitkevich