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Le temps d’une séance d’analyse des pratiques ou de supervision

1h30 ? 2h ? 3h ? Ou encore 4 heures ? Qu’est-ce une durée adéquate pour un travail groupal d’analyse des pratiques ou de supervision ? Y a-t-il une norme à laquelle groupes et praticiens se réfèrent ou se conforment ? Quels repères (se) donner pour penser la durée d’une séance ?

Dans l’organisation courante des séances d’analyse de pratiques ou de supervision, l’organisation d’une équipe comme les contraintes budgétaires fondent la durée d’une séance. Dans bien des institutions, la séance s’intègre dans la réunion d’équipe hebdomadaire, la remplace, la précède ou la prolonge. C’est aussi du côté du budget disponible pour financer un dispositif qu’une institution définit la durée des séances. Le calcul est un rapport entre budget global et une quantité de séances dont le résultat s’exprime en un taux horaire appliqué au praticien et une durée de séance. Le temps d’une séance peut donc se définir par l’organisation et le financier, c’est-à-dire des données externes au travail groupal. Peut-il se penser en termes de dynamique de groupe et de mise au travail ?

Dans la durée d’une séance, se trouvent aussi des repères qui se constituent entre un praticien et un groupe. Dans une discussion récente, la responsable des ressources humaines d’une institution, à la question que je lui posais à propos de la durée des séances, se référait à celle qui avait prévalu entre le précédent praticien et le groupe en analyse des pratiques. Le praticien avait proposé une durée de 4 heures, et cette durée s’était instituée jusqu’à faire repère pour le groupe. Aussi, la demande des professionnels, en changeant de praticien, était de reproduire une durée identique. Cette réalité est intéressante : elle pose la question des rituels, ou plutôt de la ritualisation de dispositifs. Dès lors qu’un groupe adopte un rituel, l’on peut y entendre une condition du transfert, c’est-à-dire que les professionnels sont passés d’une donnée externe : la durée conventionnelle, à une réalité interne : ce qui faisait convention se déplace dans le champ subjectif de la vie sociale de l’équipe et de ce qui s’y rattache.

La « succession » d’un praticien à un autre. Dans les institutions qui pratiquent des dispositifs pluriannuels, le changement de praticien peut avoir lieu par le praticien lui-même, à la demande du groupe ou encore sur l’injonction de l’institution. Quelle que soit la ou les causes, il se passe une succession. Ce qui s’était tissé avec un praticien est rejoué comme demande groupale. On peut entendre « ne changez rien à notre connaissance », c’est-à-dire aux repères internes du groupe, à ce qui est connu des analysants (des pratiques). Pour le praticien qui assure la succession, la demande de durée, qu’elle prolonge ou fait rupture aux rituels, s’entend comme modalité du transfert et réalité groupale.

J’en viens à la durée en tant que modalité de la dynamique d’un groupe. Le temps ne se définit pas seulement entre le point d’ouverture et celui de clôture d’une séance, et donc ce qui court entre les deux (ou ne court pas, s’arrête, fait un ailleurs). Le temps se définit par ce qui s’institue entre un praticien et des dynamiques subjectives individuelles, comme une dynamique groupale. Le temps ordinaire s’organise dans une perception et une projection d’affects. Le temps, bien qu’il soit compté par une pendule ou un smartphone demeure un temps subjectif : temps plein (on n’a pas vu passer le temps), temps vide (on s’est ennuyé), temps en tension (conflit entre des affectations de temps à des tâches ou des injonctions).

Le temps d’une séance s’organise par ce qui s’y joue et s’y déplie (comme une feuille de papier sur laquelle ce qui serait écrit serait pris dans un pliage qui enferme) et non un temps dit objectif qui serait tout juste un nombre ou une quantité à remplir. Dans les rituels d’installation d’un temps : deux heures plutôt que quatre, ou quatre plutôt qu’une heure et demi, ce qui peut mis au travail résulte de la place qu’une institution donne à un dispositif et à celles et ceux qui vont s’y investir. C’est aussi du côté du praticien que l’affectation de temps est posée par ce qu’il peut en dire, par la responsabilité du cadre qui lui revient. Autant le praticien ne peut s’ingérer dans l’organisation de l’institution, autant il peut faire autorité pour négocier un temps suffisant avec l’institution, je le nomme « temps institué » et faire tenir ce qui se joue dans ce temps institué.

Ce temps institué se déplie dans un lieu et une organisation du travail groupal extra – ordinaire, c’est-à-dire hors du travail ordinaire d’une équipe, y compris celui des réunions. Aux extrêmes de ce temps institué, ce qui se joue entre le point d’ouverture et la clôture est régi par :

  • Un temps de socialisation, qui varie d’un groupe à l’autre. Ce temps de socialisation fait transition entre les rituels d’une réunion ordinaire et la constitution d’une dynamique groupale propre à une séance d’AP ou de supervision. Les premières minutes d’une séance disent quelque chose des rituels de la dynamique du groupe : faut-il en passer par un café, de la discussion générale entre les membres : les occupations du week-end achevé, le programme télé de la veille, la critique du chef; comment le groupe s’est constitué : arrivées individuelles, arrivées par affinités, arrivée du groupe « comme un seul homme », sourires, rires, silences, tensions, etc.
  • Un temps d’entrée dans le travail. Une première prise de parole d’un membre à propos d’un cas ou d’une question d’exercice professionnel à mettre à l’analyse, les premières interactions qu’il suscite entre professionnels, les sentiments et affects qui s’expriment explicitement ou implicitement, tout comme des prises de position, jugements, opinions.
  • Un temps du travail. C’est-à-dire la dynamique groupale constitutive de la séance en ce qu’elle produit de l’anamnèse et de l’analyse : de la densité, de l’interaction, du contenu métier(s) culturel, et de la subjectivité, des repères de pratiques qui, progressivement, émergent. Ce temps s’ouvre par du récit et du symptôme (ce qui est apparent, source de malentendu, d’incompréhension, de demande de régulation) et de l’analyse, par la recherche de causes, d’explicitation de cadres de référence de membres de l’équipe souvent posés comme des évidences pour eux, inaccessibles aux autres.
  • Un temps de clôture, ou temps de scansion. Il ne s’agît pas de fermer, ni même d’enfermer la dynamique groupale dans la certitude qu’on « tient la bonne solution », pas davantage qu’on a « fini le travail ». La scansion, que Jacques Lacan a institué dans l’organisation d’une séance psychanalytique, transposée en analyse des pratiques ou supervision se présente comme une parole qui a circulé dans le groupe et que le praticien scande, avec pour buts :
    D’indiquer au groupe une interruption du travail du jour fondée sur un point saillant du travail groupal.

De susciter de l’après-coup, c’est-à-dire que le travail d’AP ou de supervision ne s’évanouit pas avec l’heure de fin de la séance. L’organisation pratique de l’horaire et le travail dynamique ne se superposent pas en un Tout.

De générer du symbolique, car un Moi groupal va se reconstituer autour du mythe groupal : idéaux, mimétisme, illusion de la cohésion ou de la symbiose, bonnes intentions et injonctions moralisantes. L’une des dynamiques groupales qu’un dispositif d’AP ou de supervision suscite réside en ce que les membres d’un groupe travaillent à des modalités de fonctionnement plutôt qu’à renforcer son récit mythique, à une tension créatrice entre parole et positions professionnelles singulières et organisation collective du travail.

 

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