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La place du collectif dans les institutions sociales et médico-sociales

Dans le cadre d’un travail de mémoire en sciences de l’éducation je me suis intéressée à la place du collectif dans les institutions sociales et médico-sociales. Ce travail trouve son origine dans un constat, celui de la moindre place laissée au sujet dans nos institutions et qui se caractérise aujourd’hui avec la question de l’autorité, de la place faite aux conflits, des responsabilités assumées ou non de chacun. Je vous propose dans cet article un résumé de ce travail de recherche et de ce que disent les travailleurs sociaux quand on leur demande : « comment vous sentez vous dans votre institution ? »

La première partie est une approche théorique des notions d’institution et de collectif, la seconde est le résultat d’une enquête menée auprès de six travailleurs sociaux.

1 La mise en problème

La fonction éducative se situe dans des contradictions au sein desquelles le travailleur social doit osciller constamment : entre impuissance et toute-puissance, entre commande sociale et émancipation du sujet… Le travailleur social doit se positionner constamment dans un entre-deux.

L’acte éducatif s’origine dans un désir, aider l’autre. Mais ce désir est à questionner, pour Enriquez 1 les soignants sont « marginaux car pas attirés par le processus de production-consommation dominant dans notre société moderne » et préoccupés par leurs problèmes psychiques et plus particulièrement le mythe d’origine. Faire le choix du soin ou du travail social n’est pas anodin.

L’acte éducatif se légitime dans un projet social, se fonde sur une éthique – respect, justice –, se bâtit sur un « faire avec », se réalise dans une rencontre singulière. On ne change pas l’autre mais sa façon de se situer dans la société. L’acte éducatif est métaphorique : c’est la parole, le geste qui sépare et qui fait lien social d’où la double finalité : construction du sujet et intégration sociale. L’éducateur se situe comme un tiers, entre l’individu et ses actes, il dénoue les nœuds, propose un espace de possibles, se situe comme un intermédiaire.

Dans toutes les sociétés les hommes ont créés des institutions où se confrontent à la fois le désir et la peur de rencontrer l’autre, ces liens sont l’essence même de l’institution, or celles-ci semblent prendre un virage pour se débarrasser des affects, des émotions et de cette tendance politique de l’homme qui fait lien en créant du collectif.

Les raisons de cette mise à mal du collectif questionnent, car si les institutions changent c’est sans doute aussi car les hommes qui les font changent. Certains auteurs désignent une dérive libéraliste et managériale comme pouvant expliquer ce changement au cœur des institutions sociales.

C’est pourquoi la question qui est posée ici est celle de connaitre les raisons qui conduisent les institutions à un tel rejet du collectif, de ce qui est propre au sujet humain, à savoir, la contradiction, le conflit ou l’affect par exemple et les répercutions concrètes dans le quotidien des travailleurs sociaux.

2 L’institution et le collectif

Les caractéristiques de l’institution sont diverses et variées et j’ai choisi l’approche de Kaes 2 qui définit l’institution comme « l’ensemble des formes et des structures sociales instituées par la loi et par la coutume : l’institution règle nos rapports, elle nous préexiste et s’impose à nous, elle s’inscrit dans la permanence ». Il complète en ajoutant que c’est une « formation intermédiaire qui fait tenir ensemble les sujets » (l’armée et l’ église pour Freud, lui ajoute l’entreprise et l’université).

Pour Tosquelles 3 « il y a de l’institutionnel partout où il y a rassemblement ou convocation répétitive », le langage en est donc une aussi.

Donner une définition du collectif est tout aussi délicate dans le sens où nous utilisons ce terme pour désigner plutôt des forces qui s’inscrivent dans un revendication politique. Ici le collectif désigne quelque chose de plus que le simple regroupement de personnes, c’est un groupe avec sa dynamique propre, une démarche particulière où l’on accepte de perdre quelque chose pour soi afin de gagner autre chose au niveau collectif. C’est aussi la possibilité de pouvoir penser autrement, de prendre le risque d’aller vers l’autre car faire un mouvement vers le cadre de référence de l’autre c’est aborder le collectif. A la différence du simple groupe, le collectif se caractérise par son pouvoir instituant. Le collectif permet une communauté de pensée, un « penser ensemble » et donc un « changer ensemble » en se laissant altérer par l’autre dans la rencontre.

L’institution est donc une médaille dont chacune des faces est l’individuel ou le collectif, c’est un lieu de passage entre la « nature » et la « culture », un tiers. Le collectif est recherche du sens, vivre ensemble, il se situe au niveau du symbolique pour appréhender le réel et il légitime les différences entre les hommes, à l’inverse de la société-troupeau.

Mais l’institution est aussi menacée par les hommes, qui l’attaquent, en même temps qu’ils en vivent. La science, le démocratisme, le libéralisme économique débridé donnent l’illusion que l’on peut se passer des institutions qui nous ont fait, or l’illusion c’est la mort de la pensée. La souffrance est inhérente au fait institutionnel lui même, tout comme l’est le conflit. Le constat est que le politique s’atrophie au profit de l’institué, du fabriqué, qui nous rassure et nous donne une illusion de toute-puissance.

Comprendre les phénomènes qui mettent à mal l’institution et donc le collectif et la subjectivité, pourrait favoriser les rapport sociaux ou au contraire les résistances et les illusions. Pour certains auteurs (Lebrun) l’ouverture c’est la démocratisation du savoir avec la construction d’un esprit critique qui laisse la place aux actes réfléchis, la restauration de la création avec une ouverture sur l’autre et sur le monde, l’affranchissement des déterminismes sans passer par la violence où le sujet devient auteur et peut agir, car poser des actes est essentiel, sinon place est faite aux totalitarismes.

Néanmoins, nous n’avons pas encore trouvé de textes où ce sont les travailleurs sociaux qui s’expriment à ce sujet et qui parlent de leurs pratiques au regard de cette mise à mal du collectif. C’est pourquoi, au delà de se demander pourquoi le collectif dans les institutions n’est plus prioritaire, nous chercherons aussi à savoir comment les travailleurs sociaux vivent et voient ce changement dans leur quotidien.

Les conséquences peuvent être de plusieurs ordres, par exemple sur l’agir professionnel, au sens de la praxis, qui fait que l’on s’autorise et s’implique de moins en moins avec des professionnels qui deviennent de simples prestataires de services. Elles peuvent se voir aussi par rapport à la pensée avec l’impression qui est donnée que penser peut être une activité risquée tout comme le conflit qui est évité le plus souvent possible. Une autre conséquence est peut être aussi celle de la modification de la relation éducative où le professionnel hésite à mettre en jeu sa personne et à montrer ses failles. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux conséquences sur le collectif dans les institutions.

3 Résultats de l’enquête

La question inaugurale de l’entretien non-directif était : « comment vivez vous/vous situez vous/vous sentez vous, dans votre institution ? » Tout l’art de cette question inaugurale est qu’il faut à la fois ne pas induire de réponse en précisant trop le sujet de recherche, mais en même temps obtenir des informations pour savoir à quel point l’institution est présente chez la personne et en retrouvant dans son discours le thème, le mot même d’ institution.

J’ai interviewé six travailleurs sociaux, quatre éducateurs spécialisés, une conseillère en économie sociale et familiale et une assistante de service social.

Le matériel recueillit lors des entretiens est un matériel précieux qui peut être utilisé de multiples façon et faire l’objet de nombreuses approches, de nombreuses interprétations. Au regard du questionnement de départ, ce que l’on peut dire après avoir analysé les résultats tel que nous l’avons fait c’est que :

  • La notion d’institution semble être connue implicitement par les interviewés, dans le sens en tout cas où c’est quelque chose de plus qu’une simple organisation. Pour faire institution il faut les autres, les usagers, l’équipe, les chefs et les directions territoriales.
  • L’institution peut apporter satisfaction ou souffrance insupportable, sentiments qui questionnent tous les professionnels rencontrés. Le type de rapport entretenu par le professionnel avec son institution est proprement subjectif mais avec une réflexion manifeste, une tentative de prise de distance et un questionnement bien présent.
  • Chaque entretien s’articule globalement autour d’une problématique propre à l’institution dont il est question, mais que l’on pourrait retrouver dans une autre qui aurait un fonctionnement similaire. Les deux tiers des professionnels interviewés paraissaient bien dans leur institution, tenaient malgré les difficultés croissantes qu’ils rencontrent, notamment en terme de procédures administratives, et d’approche gestionnaire du travail social.

Si l’on revient à notre questionnement de départ, qui était de connaitre les raisons qui conduisent les institutions à un rejet du collectif, de ce qui est propre au sujet humain, à savoir, la contradiction, le conflit ou l’affect par exemple et les répercutions concrètes dans le quotidien des travailleurs sociaux, nous pouvons dire qu’elle mériterait d’être nuancée. En effet, nos entretiens ne permettent pas d’affirmer que le collectif s’étiole dans les institutions car pour cela il faudrait comparer sur le long terme cet aspect là spécifiquement. Trois des personnes interrogées exercent depuis plus de vingt ans et disent qu’avant ce n’était pas pareil mais elles ne parlent pas uniquement du collectif, la nuance est là. Ils soulignent qu’avant il y avait plus d’échanges avec les hiérarchies même pour les usagers. Ils disent aussi l’accroissement des procédures administratives qui font perdre du temps au détriment de la relation éducative. Parallèlement, ces procédures et cet accroissement du contrôle remettent en question leur autonomie, ainsi que les projets qui sont moins bien financés. En fait, pour aller plus loin dans l’interprétation on pourrait dire qu’au regard des missions confiées aux travailleurs sociaux c’est le cœur de métier qui est mis à mal. La relation éducative, le lien social, le processus de projet notamment.

Les connaissances produites par ce travail pourraient être synthétisées ainsi :

  • L’institution est ce que l’on en fait, chacun à notre place, place qu’il faut chercher et trouver,
  • L’institution n’existe que s’il y a une dynamique collective, sinon elle est une simple organisation,
  • Pour faire vivre le collectif il vaut mieux faire le choix de l’instituant et donc accepter de prendre des risques.

Même si cette recherche n’a pas mis en avant de nouvelles pratiques, elle a néanmoins révélé la mutation du collectif dans les institutions en rapport avec les changements au niveau du lien social.

La rareté des échanges formels et informels et donc des possibilités d’élaboration et de mise en sens font défaut et impactent les pratiques des travailleurs sociaux au delà du seul manque de moyens souvent évoqué.

Un article de Madame Mylène SUBBA,
Éducatrice Spécialisée.
Email : mmmz@free.fr

1 Enriquez, E. (1987, p62). Le travail de la mort dans les institutions. In Kaes R. (Ed), L’institution et les institutions (pp 62-94). Paris : Dunod. 2Kaes, R. (1987, p8 et p21). Réalité psychique et souffrance dans les institutions. In Kaes R. (Ed), L’institution et les institutions (pp 1-46 ). Paris : Dunod. 3 Tosquelles, F., Oury, J., Guattari, F. (1985, p89). Pratique de l’institutionnel et politique . Vigneux : Matrice.

 

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