L’invention de la psychanalyse, toujours recommencée
Quel est le statut de la psychanalyse si celle-ci n’est pas une science, une thérapeutique ou une vision du monde ?
Il revint à Lacan de l’avoir définie comme une expérience de parole inscrite dans la subjectivité de son époque, son legs considérable nous incitant à répondre continûment aux demandes d’analyses, toujours plus nombreuses, qui nous sont adressées. N’en déplaise aux esprits nostalgiques ou chagrins, la vitalité de la psychanalyse se rapporte au questionnement sans répit de ses fondements éthiques, son horizon étant celui de la formation de psychanalystes qui soient « à la hauteur de cette fonction qui s’appelle le sujet » (1).
Une différence essentielle entre la psychanalyse et les psychothérapies se situe en ce point, ce qui n’implique pas que toute cure analytique aboutisse à ladite formation. Expérience singulière de parole, la psychanalyse est aussi une aventure collective qui se décline en colloques, congrès et conversations cliniques. Réunir des milliers de personnes à Paris ou ailleurs nécessite une préparation à la fois rigoureuse et des talents multiples. Certes, le nombre n’est jamais un argument en soi. Il est la preuve que l’intérêt ne faiblit pas parmi les praticiens de la psychanalyse et l’opinion éclairée, laquelle se presse depuis quelques années pour s’inscrire aux grandes rencontres thématiques que nous lui proposons.
Et ce, malgré des efforts réitérés d’annonces dans les médias ou les réseaux sociaux alléguant que le divorce est désormais consommé entre les citoyens et la psychanalyse d’orientation lacanienne. Il semble que le public soit indifférent à ces funestes admonestations. Certaines de nos journées d’étude se tiennent aujourd’hui à guichet fermé. Quand les inscriptions sont closes des semaines à l’avance, la question se pose, de temps à autres, de louer des lieux plus vastes.
Un sage principe de modération et la notion selon laquelle le manque est le soutien du désir nous prévient, jusqu’ici, d’aller plus loin en cette direction. La réussite de ces événements ne relève pas de distorsions cognitives ou de croyances erronées ; de sobres rapports d’activités et d’austères bilans comptables en attestent.
Un moyen de dénier à la psychanalyse sa place parmi les discours consiste à la définir comme une méthode psychothérapeutique parmi d’autres. Le narcissisme de ses petites différences ne devrait pas lui donner le sentiment d’une quelconque supériorité sur des techniques mieux adaptées aux normes actuelles de rendement et d’utilité ! Des commentateurs estiment dès lors que les psychanalystes français se seraient particulièrement illustrés par leur mépris des psychothérapies.
Ne suivant pas l’exemple d’autres pays où le mouvement de rapprochement a pu s’effectuer entre psychanalyse et psychothérapie, l’influence de l’enseignement de Lacan les aurait conduits à vouer un culte à la parole du maître. Au lieu d’accepter le principe des cures interminables ponctuées par d’inintelligibles interprétations, les psychanalystes français auraient dû, selon ces commentateurs, s’employer à « créer, comme partout dans le monde, des instituts privés » pour former des praticiens de l’analyse « en trois ans » (2).
Il se trouve que nous sommes aussi des lecteurs de Freud et celui-ci n’y allait pas de main morte en expliquant que la psychanalyse se distingue de procédés « tels que la suggestion, la persuasion, qui puisé aux sources de notre ignorance, doivent leurs effets à court terme à l’inertie et à la lâcheté des masses » (3).
Il indiquait encore qu’un phénomène nouveau s’était produit à partir des années trente du siècle dernier. À cette époque, en effet, la diffusion de la psychanalyse avait connu un bond spectaculaire en gagnant toutes les couches de la société. En 1932, Freud mentionnait les résistances suscitées par ce succès de la façon suivante : « Assez vite, la conversation se porte sur la psychanalyse, vous entendez des gens les plus différents donner leur avis, la plupart du temps sur le ton d’une certitude impavide. Ce jugement est, très habituellement méprisant, souvent outrageant, pour le moins railleur » (4).
Ce parti pris ne provenait pas seulement d’une attitude critique héritée des représentants de la science officielle qui l’avait jadis condamnée, elle était issue de la psychanalyse elle-même. Étonnamment, Freud estimait que ce n’était pas la sexualité ou l’inconscient qui choquaient les esprits. Le symbolique, c’est-à-dire le fait que la psychanalyse considère l’incidence du langage sur le corps ainsi que les mécanismes de déplacement et de condensations en jeu dans la constitution des symptômes, suscitait une méconnaissance doublée d’une aversion profonde. Pour Freud, il n’y avait pas de division entre l’usage thérapeutique et les applications diverses issues de la découverte de l’inconscient.
La psychanalyse est Une et ne se laisse pas décomposer.
Un moyen de dénier à la psychanalyse sa place parmi les discours consiste à la définir comme une méthode psychothérapeutique parmi d’autres. Le narcissisme de ses petites différences ne devrait pas lui donner le sentiment d’une quelconque supériorité sur des techniques mieux adaptées aux normes actuelles de rendement et d’utilité ! Des commentateurs estiment dès lors que les psychanalystes français se seraient particulièrement illustrés par leur mépris des psychothérapies. Ne suivant pas l’exemple d’autres pays où le mouvement de rapprochement a pu s’effectuer entre psychanalyse et psychothérapie, l’influence de l’enseignement de Lacan les aurait conduits à vouer un culte à la parole du maître.
Au lieu d’accepter le principe des cures interminables ponctuées par d’inintelligibles interprétations, les psychanalystes français auraient dû, selon ces commentateurs, s’employer à « créer, comme partout dans le monde, des instituts privés » pour former des praticiens de l’analyse « en trois ans ».
Pour le dire autrement, pour être fidèles à Freud et Lacan, il ne convient pas de les imiter, mais d’apprendre d’eux ce que parler veut dire. Jamais semblable à elle-même, toujours surprenante, la psychanalyse d’orientation lacanienne progresse avec son temps. Elle se renouvelle comme le phénix. Elle glisse sous les discours contemporains comme le furet que Lacan désigne comme emblème du désir.
Quiconque croit l’attraper se trouve capturé par le piège des idées reçues, obsolètes et assommantes à souhait. Nous avons choisi la psychanalyse vivante et incarnée. Aucune routine et pas d’ennui, c’est le secret de notre endurance.
Le poète ne disait-il pas que « la parole, c’est l’avenir » (6) ?
1 ) Lacan J., « Place, origine et fin de mon enseignement » (1967)
2) Interview de E. Roudinesco au journal Libération, 2020.
3) Freud S., La Question de l’analyse profane
4) Freud S., « Éclaircissements, applications, orientations », Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse.
5) Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », département de psychanalyse de l’université Paris VIII, 2008
6) Bonnefoy Y., La Vérité de parole et autres essais, Folio essais, 1995.
Va voir un psy !
Formule entrée dans le discours courant, conseil exprimant la lassitude de celui qui écoute les complaintes, invective témoignant de la colère … Peu importe, cette expression devenue commune, fait florès, souvent accompagnée d’un « fais-toi suivre ».
Tout ça pour dire que « ça ne va pas » ou « ça suffit »
Mais quel psy ? un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute, un psychanalyste, un coach ? Pour dire quoi ? Ce qui ne va pas, ce qui cloche, ce qui se répète ?
Ces dernières années ont vu fleurir quelques 400 sortes de traitements divers et variés, émanant tous des meilleures intentions : le bien d’autrui, même si le service des biens, est souvent, comme l’enfer, pavé de bons sentiments !
A moins que le marché de l’angoisse n’ait encouragé les convoitises …
Traitement par la parole, dit-on, comme si la parole seule pouvait suffire. Traitement par la suggestion pour d’autres, mais on connait les résultats de la méthode Coué. Traitement par le dressage, la pédagogie, le médicament, l’hypnose …
Traitement des couples, de la sexualité, de la turbulence infantile, traitement des troubles qui vont de la peur des araignées à la peur de mourir. Traitement des maux de notre temps : stress, burn-out, dépression, bi-polarité, troubles « dys » de toutes sortes, troubles de l’attention et de l’hyper-activité, etc …
Autant de termes cache-misère car on ne sait plus ce qu’ils recouvrent.
Mais pour quelle guérison ? Celle de la souffrance ou celle du souffrant ? Celle de la plainte ou celle du symptôme ? Imagine-t-on guérir « de la souffrance de l’être et de la douleur d’exister » ?
C’est alors que la pharmacologie se délecte. Elle a le remède contre l’insomnie, l’angoisse, la tristesse, le délire et même l’impuissance. Tout lui est bon. Ses projets sont multiples et pleine de promesses : les laboratoires pharmaceutiques ont réponse à tout. Vive les molécules !
Il faut reconnaitre que notre temps n’a plus le temps …
Nous vivons dans l’urgence et la quête insistante d’un bien-être. La publicité pour le « bien-être » est omniprésente. L’on en fait même des salons ! Il nous faut être soulagés, réconfortés, « augmentés » dans les plus brefs délais, et si une technique s’avère insuffisante, ou n’est plus à la mode, une autre se propose.
Souvent, c’est lorsque ces approches ont rencontré leur limite que s’entrouvre la porte du psychanalyste.
Car le sujet qui, lui, demeure en souffrance, comment le libérer de ses espoirs toujours déçus, de ses idéaux inatteignables, de ses craintes et autres inhibitions ?
Comment le libérer des standards, des normes qui changent comme des modes ? Comment l’amener à assumer sa singularité envers et contre tous les judicieux conseils et bienveillantes suggestions de la famille, des amis, des collègues ?
Pour la psychanalyse, quand la guérison survient, elle est « de surcroît » nous dit le Docteur Lacan : il devient nécessaire et quelquefois suffisant de « savoir y faire avec son symptôme ».
Didier Potin, psychanalyste
10 2018